Pensée rassurante

Publié le par la freniere

Pensée rassurante, consolante presque : pendant que ça meurt ici & là, il reste les vivants pour s’occuper à faire durer le monde, entretenir les routes, gérer l’aiguillage des chemins de fer, construire des abris en paille, en argile, en béton, semer & récolter le blé, approvisionner fruits & légumes, boucher les avaries, aller à la pêche aux harengs, ramasser l’obole aux péages, distiller la lavande et le jasmin, raboter les planches de sapin, épandre le goudron mêlé de caillasse, bouturer l’espalier de la poire, finasser les ourlets de la délicate lingerie, rincer le vert-de-gris sur les anciennes auréoles, enduire d’émail les jarres, planter des antennes aux faîtes des baraques, lubrifier les pistons des chaloupes, sucrer soigneusement les confitures de coings, pourvoir de charnières efficaces les portes cochères, restaurer les partitions du chant des lamantins, nourrir d’engrais les doubles rangées de peupliers, faire tourner en douceur les moulins à papier, faire venir du mauve et du jaune dans les récipients à coloris, visser les fines lamelles coupeuses sur les taille-crayons, enrouler les cordes de chanvre sur les bobines, ajouter une poignée de pommes de pin à la braise pour la dorure du pain — il y a ainsi une sorte de presque éternité à l’œuvre malgré la permanence des trépas et la catastrophe de ma mort n’est en rien une catastrophe.


Lambert Schlechter

Publié dans Poésie du monde

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article