La terre est en colère
Parmi les églises vides du Québec, celle de Saint-Fer est pleine. La sonnerie des cloches annonce encore la naissance et la mort. Je suis certain que tous ces catholiques, s'ils avaient à choisir entre Dieu et la richesse, choisiraient l'argent, quitte à trahir la foi, le monde, la terre entière. Ils disent croire au Christ, mais mettent tous leurs espoirs dans des billets de loterie. C'est faire peu de cas de la vertu de l'espérance. On devrait célébrer des messes plus païennes, comme dans la petite église de Maplegroove, cédée par les Irlandais à la municipalité d'Irlande. On y entend du jazz et des poètes, de la chanson et du folklore, non le prêchi-prêcha bénissant les banquiers et les voleurs de vie. L'âme rouillée des choses n'a pas de souvenirs, ni la tôle des chars ou la fumée des pneus jetés dans le ravin. Chacun acquitte comme il peut le salaire du malheur. Chacun hausse le ton sans avoir rien à dire. Personne n'écoute plus personne. Mon pied titube sur le sol. Je touche du crayon de grandes marges blanches. Malgré le froid, lorsque j'écris, un papillon se pose sur le dos de ma main. Les phrases prennent corps dans la musculature du verbe, la mastication des lettres, l'appétence des mots. Dans l'assemblage des images et des mots, je vois ce qui n'existe pas. Peu importe, la vie réelle finit par nous forcer la main. Suite à l'ouragan d'hier, il n'y avait plus d'ombre tout autour, qu'un immense trou noir, un grand vent de panique, un immense néant. Plus rien ne séparait le sommet de l'abîme. Tout le ciel a glissé vers le sol. Les quelques instant où le soleil a disparu m'ont semblé plus longues qu'une journée entière. On ne sait où sont passé les bêtes. Il n'y a de cadavres que ceux des arbres et des poteaux téléphoniques. Le vent griffait l'espace à grands coups d'ongles contre le mur du temps. J'ai vu des arbres déracinés, partout des géants terrassés, une maison mobile emportée par l’œil du cyclone comme un cyclope aveugle, des toits de grange arrachés, le poitrail du sol cravaché par le vent, des loques démembrées de caillasse et de pluie, des cicatrices de terre, une érablière complètement dévastée. La terre est en colère. Il y a dans le vent une force que rien n'arrête.
Jean-Marc La Frenière