Certains souvenirs

Publié le par la freniere

Certains souvenirs, on dirait une buée. Ils s’évaporent au soleil. La vie commence avec la mort en supplément. Qu’avions-nous besoin d’une chimère chimérique, de chercheurs d’or et de trésors ? Il n’y pas eu de progrès des iguanodons aux skidoos, des premières branchies aux derniers écouteurs, du silex aux drones, des grands singes velus aux skinheads, de la robe de lin au cabas militaire, des chemins buissonniers au crissement de la craie sur un tableau d’école, des champignons magiques à ceux d’Hiroshima et de Nagasaki, de la bête à bondieu au caniche royal, du plancton des étoiles aux flashes des néons. Le temps ! Le temps ! Ce sont mes os qui rouillent et mes yeux qui s’embrouillent. Combien de temps encore à me tenir debout ? La vie est une digestion perpétuelle. Je grignote les mots comme un rat de bibliothèque parmi les raclures d’ange et le crottin verbal. Le temps existe par la fleur et l’abeille, par la terre et le miel. L’espace existe par le ciel et la patience de Sisyphe, les vers qui grignotent la couenne dure de l’âme. Je ne sais plus qui du crayon ou de la main me rattache à la vie. Qu’est-ce que l’homme si un salaire l’asservit, s’il en vient à tuer pour la parole d’un Dieu, s’il fait des affaires au lieu de faire le bien. La mort pour lui sera du même au même. S’il s’en tient aux bêtes, aux plantes, aux pierres, à la sève des arbres, l’enfant ira plus loin que le veut l’histoire. Mon père qui est mort, je dois parler pour lui, avec un coup d’archet, un mot sur une pierre ou sur un grain de blé. On ne change pas la face du monde en changeant de lunettes. On ne transforme pas la vie en changeant de look. Depuis qu’il a remplacé le silex par une allumette, le cheval par des chevaux-vapeurs et l’éthique par des étiquettes, l’homme a-t-il vraiment progressé ? Mon loup en doute qui se méfie des chars et des chasseurs. J’ai quitté la ville depuis longtemps. L’absence de bois, d’herbe et de paille m’empêchait de dormir. Je m’y sentais comme une bête de cirque. Il n’y a dans les ruelles que des chats et des rats, des chiens de salon dans les banlieues chics, des oursons de peluche protégeant les enfants. Tout un peuple bouge dans les boyaux obscurs du métro. Des silhouettes s’animent dans leurs cages de verre. On dirait les pantins décrits par Georges Orwell. Pour gagner sa vie, l’homme ferait n’importe quoi. Même si une même peau habille tous les hommes, je ne serai jamais un homme de ce temps, l’homme bardé de diplômes et de papier monnaie, la foi en bandoulière comme un chapelet de balles, l’homme qui préfère l’argent à la santé des autres Je resterai l’éternel rêveur, le pelleteur de nuages. Une boule d’enfance me remonte à la bouche. Je vomis des mots. Je vitupère. Je crache des images. Je le sais bien qu’ici le grand vagin du monde accueille l’eau de pluie. Les mots ne guérissent pas. Ils remettent un pansement sur une vieille blessure.

Jean-Marc La Frenière

 

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