En boule
Dès la naissance, on a tout ce qu'il faut pour mourir. Apprendre à vivre s'avère plus difficile. Des métaphores aux oxymores, des aphorismes aux versets allégoriques, des vers de terre aux verres à pied, les images s'embrouillent et les tableaux s'opposent. Toutes les couleurs ont leurs idées, leurs opinions, leur langue. Le ciel est bleu comme un sourire. Envahies par les chiens, les rues se laissent mordre. Je n'écris pas pour définir ou clarifier, mais pour me relier à ce qui est vivant. Mes frères et sœurs, je vous aime. Je ne l'ai jamais dit. J'étais taiseux comme le père. Un sourire à la gueule ne cache pas les larmes qui coulent sur le cœur. Le monde boite de plus en plus. Tant de jambes ont cédés. Le chalet s'est peuplé de fantômes et de larmes, de poussière et de drames, de silence et d'absence. On a décapité la vieille croix de bois et le pont des soupirs. Chez mon ancien voisin, l'embouteillage de l'eau a remplacé la beauté des chevaux et celle des blés blonds. Un cadavre d'oisillon pourrit sur le plancher des vaches. Mes mots sur du papier font-ils encore du feu? Quand je les jette en boule, ils font des flammèches sur la cendre de l'âtre. L'enfant que j'étais a fait semblant de vieillir. Le temps l'a pris au mot et me voici gros Jean comme devant, bonhomme de neige sous la pluie, épouvantail où perchent des vautours, vieux tronc d'arbre perclus de rhumatismes. Mon loup est mort depuis longtemps. Mon corps ne me laisse plus vivre au cœur de la forêt. Les pieds dans un cul de basse fosse, j'atteins le fond des choses. C'est à peine si les mésanges me regardent. Pourtant, j'ai des graines plein les mains. Les écureuils me font la gueule. Les arbres me tirent une langue rousse. Les oiseaux que je tirais enfant, au gun à plomb ou à la fronde, je les entends voler et je rêve de partir avec eux, à tire d'aile, à tire larigot. Rien n'est jamais gagné ni tout à fait perdu. Les émotions, les sentiments, les regrets, les remords, les souvenirs, s'apprennent à l'arraché. Le ressort de vivre se détend peu à peu. Je me croyais éternel, mais je ne suis gardien que des pas sur la neige. Je vacille sur un fil par peur de tomber.
Jean-Marc La Frenière