Une maison

Publié le par la freniere

Je n'ai pas construit une maison, mais un poème. Je cherche la mer entre les lignes, la forêt sur la page, le ciel dans la marge, le bruit du monde entre les mots. Il y manque toujours un meuble, une table, une image. Lorsque j'ouvre les mains, elles retrouvent le manque, la peur des enfants, l'histoire des fantômes. Assis sur un petit tas de mots comme sur un tas de feuilles, je les froisse des doigts. La beauté des chevaux m'étonnera toujours, celle des fleurs sauvages et des couchers de soleil. Elle console de la bêtise de l'homme détruisant ce qu'il touche. Les morts n'arrêtent pas d'engraisser la terre. Toutes les vies s'en nourrissent. La véritable communion nécessite un jardin. Lorsque je pense à la mort, Chibouki me ronge en dedans. Qui soignera mes plantes quand je serai parti? Me lira-t-on encore? Enfants, méfiez-vous des parcs d'attractions, des chevaux de foire et de manège, chevauchez un vrai joual, préférez le mustang au cheval-vapeur, le pacage au parking, la douceur des lèvres à la froideur des écrans, aimez la vie et les vivants. Un corps n'est pas qu'un corps. Un cœur ne se réduit pas à ses battements, la tête à la cervelle. Quelque chose de plus nous tire vers le haut. Je navigue entre le crincrin et la zizique, le zinzin et l'harmonie, le zéro et l'absolu. Sur la portée d'un alphabet, j'ajoute quelques notes à la petite sourdine du cœur. Je lance des ballons dans les misères du monde. Un enfant les attrape. J'avance comme je peux, un peu d'espoir dans mon sac et tant d'amour brûlant mes yeux. La mort m'a contourné deux fois, peut-être quatre, alors que j'étais prêt. Elle reviendra quand je ne voudrai plus. On ne sait pas pourquoi l'on meurt. Je voudrais qu'elle vienne quand toutes les guerres auront cessé et les enfants ne feront plus semblant d'être des hommes. Tout est passé trop vite. Je n'en suis qu'au brouillon. Il y a si peu de cendre au bout de chaque vie. Que deviennent les hommes, les bêtes, les oiseaux?

L'homme se perd dans la précarité des hypothèses, l'apostasie des dieux, les apostrophes du temps. Ce que dit la vie, la faune le comprend, la flore le devine. L'insecte et l'éléphant ont les mêmes atomes. Les bras et les pieds viennent du même alphabet, peu importe la langue. La bouche s'emplit de mots, de silence et de cris. Le corps forme une ombre sur le mur. Les pieds laissent des pas sur la poussière. Un fruit se forme dans la fleur. Un bruit se perd dans l'oreille. Les pétales de fleurs et les akènes de pissenlits se sèment à tout vent. Les courges, les tomates, les fraises, les radis proviennent d'un même jardin, le sol de la terre. La neige et l'eau se mélangent aux phrases, aux paragraphes, aux mots. Les pages du cahier se sont qu'une aquarelle. Le pollen comprend le babil des abeilles, mais l'homme cherche encore le sens de la vie. On a peur des insectes (qu'ils nous donnent la fièvre), du froid qui transperce les os, de la chaleur qui brûle, de la marée qui monte, du ciel qui descend. On marche dans sa tête jusqu'à épuisement. Je suis chaque mot que j'écris et l'encre sur la page. Les crayons de mes jambes dessinent le chemin, la falaise où grimper, l'interminable qu'il nous faut traverser. Qu'on visite le monde ou qu'on reste sur place, de la naissance à la mort, ce n'est qu'un long voyage dont on ne revient pas. À la longue, tout s'amenuise et se tait, mais il suffit de presque rien, une vulgaire breloque, un brimborion d'enfance oublié dans un coffre, une mèche de cheveu, pour que renaisse la parole. Les souvenirs sont toujours aux aguets. L'inhabituel surprend toujours comme un point d'orgue dans l'ennui, un point virgule dans une phrase, un coup de poing sur la table. Il met du sel sur les heures, du beurre sur le pain, du muscle dans les bras, de la cervelle dans les mots.

La poésie est une chaise, un hamac, une table. Nos corps sont des maisons mal bâties. Elles prennent de l'âge comme on prend l'eau. Les portes grincent. Les planches prennent des rides. Il faut mettre de l'huile dans la machine à vivre, un peu de rêve et tendresse. Je n'écris pas comme un tracteur obèse, mais un bœuf de labour ou un cheval de trait, pas comme un caterpillar, mais la roue d'une brouette enlisée dans l'ornière. Contemporain des arbres, je date devant l'ordinateur. Je saigne quand on ampute l'Amazone d'une partie de poumon, quand le pétrole fait fondre les glaciers, quand les écrans géants rendent les hommes analphabètes. Dans les fast-foods, on ne lit plus le menu, on regarde les images. Les prix ont remplacé les lettres. Le mode a remplacé le goût.

 

Jean-Marc La Frenière

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C
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. A bientôt.