Yves Préfontaine

Publié le par la freniere

Yves Préfontaine

Pour rendre hommage au grand poète Yves Préfontaine (1er février 1937- 31 mars 2019), voici un extrait d'un long entretien avec Gérald Gaudet réalisé en 2016 et paru dans le numéro 84 d'Exit. Notez qu'Yves était près des plus jeunes poètes pour lesquels il demeurait toujours disponible. Il a influencé plusieurs des poètes ayant fait leurs premiers pas en nos pages. Nous lui souhaitons un beau voyage et toutes nos pensées vont à ses proches.

(G.G) • Pourquoi, parmi tous les langages, la poésie s’est-elle imposée à vous?
(Y.P.) • J’ai été très rapidement impressionné par la dimension géologique de notre environnement, de notre pays – parce que j’ose imaginer que c’est encore un pays, un pays malade, mais tout de même un pays.

Cela vient de l’enfance. Mes parents avaient une maison dans le coin natal de mon père, l’Isle-Verte, Trois-Pistoles, dans le Bas-Saint-Laurent. C’est un pays qui fait partie de moi, même si je n’y vais pas aussi souvent qu’avant. Mes parents avaient un chalet à la grève du quai de Trois-Pistoles, nous y allions beaucoup quand mon père le pouvait – il faisait beaucoup de recherche en biologie marine. Nous allions aussi en Gaspésie, à une époque où c’était une expédition risquée – les routes étaient épouvantables, il fallait partir avec trois ou quatre pneus sur le toit parce qu’on avait des crevaisons à tout moment, ça prenait trois jours se rendre à Percé, ce qu’on fait aujourd’hui en une journée, mais à l’époque c’était héroïque.

C’est à ce moment-là que j’ai écrit mes premiers poèmes en fait. Il me fallait traduire ces forces inouïes que l’on retrouve dans la mer, dans les marées, dans les ressacs, dans le jusant. Dans les aurores boréales. On aurait dit que le ciel nous tombait sur la tête. À l’Isle-Verte, alors qu’il n’y avait aucune pollution lumineuse, on avait l’impression qu’on allait toucher ces aurores boréales.

• Pourquoi la poésie a-t-elle été à ce moment-là le langage qui convenait le mieux pour traduire ces phénomènes prodigieux?

• Ce qui me vient à l’esprit, c’est la musique. Il y a des vocabulaires qui sont plus poétiques que d’autres parce qu’ils apportent des sonorités nouvelles.

À une certaine époque, j’ai été beaucoup nourri par ce qu’on appelait la musique contemporaine. C’était la musique sérielle de l’École de Vienne, celle de Schoenberg, de Berg, de Webern. J’étais tombé là-dedans comme Obélix dans la potion magique. De temps à autre, on allait, mes parents et moi, à New York. Mon père avait des amis, surtout universitaires. Il avait même comme ami Teilhard de Chardin qui y avait été envoyé en exil par la communauté des Jésuites, lui qui, déjà très âgé, ne rêvait que de retourner en France pour pouvoir y mourir en paix.

Il y a donc eu d’abord Stravinsky, extrêmement puissant avec Le Sacre du printemps, un pur chef-d’œuvre, puis L’oiseau de feu et La symphonie des psaumes. Il avait craché sur la musique sérielle.

• Qu’est-ce que votre poésie a retenu de cette musique?

J’avais l’impression d’être habité par ces rythmes-là. On parle de Stravinsky. Il y avait aussi Berg, Webern, qui ont fait, comme on le disait, une œuvre de démolition du système tonal traditionnel, c’est-à-dire du système atonal avant la conceptualisation de la musique sérielle. C’était une période extrêmement riche, post-wagnérienne, post-malhérienne …

• Je me rappelle ce passage d’un poème que j’ai toujours aimé sur Coltrane :

«Tu imprégnais l’espace
et les fibres de nos vies
démiurge
nègre
mort au front plutôt deux dois qu’une
mort dans la torture de tout dire
aux frontières du cri
[…]

J’aimais en toi
l’essence même du chant
qui brise les bourreaux
Mais le bourreau survit

Dieu-nègre-Amérique confitures amères
[…]
Paul-Marie Lapointe a parlé du «jazz du poème» dans l’un de ses rares textes réflexifs. Vous aviez certes écrit : «Un jazz profond nous habite et nous anime.» Si vous aviez à qualifier votre rythme en poésie, que diriez-vous?

• Le jazz a aussi été important pour moi. Pendant des années, j’ai fait des émissions de jazz à Radio-Canada. J’ose même dire que j’en ai été l’initiateur.

Ce que j’aime du jazz, c’est quand il dépasse les limites de lui-même. Je suis obsédé par les limites. Dans ma poésie de jeunesse, il y a d’ailleurs une volonté, mythique, de reculer les frontières. Le jazz que j’aimais, à partir du be-bop, c’est celui qui cherchait toujours à se dépasser. Quand vous écoutez Charly Parker, saxophoniste alto, ou John Coltrane ou Miles Davis, vous voyez que ça va plus loin. C’est souvent à contre-temps d’ailleurs (le off-beat, comme on dit en américain) : vous avez le rythme, le «jazz du poème» comme dirait Paul-Marie, puis ce qu’il y a autour. C’est comme une marche stellaire. Moi, j’écoute ça et je deviens stone : je n’ai pas besoin de fumer.

• Dans L’antre du poème, que vous avez écrit à la fin des années 1950, vous associez toute cette explosion à l’éveil de l’être. Le diriez-vous encore?

• Oui. Dans mon livre Être, aimer, tuer, je dis le paroxysme de cette quête après quoi il fallait que je passe à autre chose sinon je me serais répété. Il y a des choses qu’il faut répéter – ce sont des lignes de force. Il y a des tensions, des reculs, des avancées. C’est comme le vivant. Dans la vie, il y a des forces qui font reculer, qui peuvent même anéantir par une énergie intrinsèque à elle-même. Dans la nature, il y a des espèces qui disparaissent par leur propre responsabilité en autant qu’on puisse parler d’une conscience chez les animaux ou les plantes.

Parfois on a l’illusion de cheminer dans quelque chose qui pourrait aller très loin puis tout à coup il y a une interruption. C’est très difficile à encaisser. Quand vous êtes possédé par une espèce de démon de créativité, et que tout fout le camp et on ne sait pas pourquoi. Il y a quelque chose qui se passe dans la tête ou dans le cosmos. J’ai vécu de nombreuses ruptures de ce type-là. Je n’ai jamais écrit de façon appliquée. Il faut qu’il se passe quelque chose, qui m’échappe d’ailleurs.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article