Dites-moi que j'exagère
L’homme de la banlieue est animé par la colère.
Il s’est entouré de tant d’objets qu’il en a perdu
le sens de l’attente et du désir. Furieux contre tout,
il crie dans les téléphones ; coincé dans le trafic,
il hurle dans son auto en écoutant la radio, où ça hurle
encore plus fort que lui ! C’est que la vie apparaît
absurde quand il remarque que d’autres mènent
autrement leur vie. Cela lui semble insupportable,
car l’homme de la banlieue a besoin de se sentir
légitimé de vivre dans un moule — même si on y étouffe,
même si l’âme s’y trouve compressée. Bien sûr,
l’homme de la banlieue exige qu’on le respecte
et qu’on respecte son besoin d’exprimer sa haine
des autres. Sa petite vie si confortable est perturbée
dès que l’État vient en aide à d’autres que lui.
La grande injustice dont il souffre, c’est que les autres
ne s’occupent pas de son nombril. Alors il hurle
sa haine des féministes et des gauchistes, il crie
son mépris des intellectuels et de tous ces étudiants
qui profitent des largesses de l’État, il enrage
contre les immigrants qui imposent une autre image…
Le moule, le beau moule où il s’est coulé, l’homme
de la banlieue craint qu’on le brise et que sa chair molle
se déverse sans qu’il puisse se tenir debout…
Claude Paradis
24.05.2019