Le bord du monde 4

Publié le par la freniere

J'aime les hommes en général, la femme en particulier,

les portes qui grincent, les fenêtres ouvertes,

l'eau qui coule dans les rigoles,

la gentillesse des pauvres gens, les médecins sans frontière,

les frères et sœurs incestueux,

les livres de Réjean Ducharme, V.L.B., Ferron, Aquin,

les soifs de Marie-Claire Blais,

les marchandes de fleurs, les crieurs de journaux,

les pas s'écartant de la route,

les grands orages et les gouttes d'eau,

le lit du Saint-Laurent creusé par les glaciers.

J'aime mon pays malgré l'hiver,

ses tempêtes de neige à 30 degrés sous zéro,

les souffleuses rognant le cul des boites à malle,

les vitres embuées où les enfants dessinent,

les carcajous, les lynx, les hardes animales,

les hordes et les échardes,

les amoureux qui boivent dans la même bouteille,

une jolie femme dans les parages,

les tripes à l'air et les rustines au crève-cœur,

la porte ouverte dans une maison mentale,

les mouches à feu et les étoiles de mer,

l'écriture du monde sur le papier du jour,

le besoin de beauté, le désir de bonté,

une trompette de lumière dans un orchestre d'ombres,

la file indienne à l'approche du gibier,

les syllabes des jambes enjambant l'inconnu,

les cédilles des bras, les parenthèses du silence,

la course des fourmis sous le tronc d'un vieux chêne,

le pollen des abeilles dans la ruche du cœur,

l'écarquillement des yeux fascinés par le ciel,

la neige de janvier et la chaleur de mai,

l'âtre des mots où flambe le vrai feu,

les tables mises pour les amis,

les lits défaits par les amants.

 

J'aime le sel, l'alcool, le tabac,

les mauvaises herbes, les nuits blanches,

les bleus au cœur, les vert-de-gris,

la bouée des mots à laquelle je m' accroche,

les femmes en révolte, les hommes tout autant,

le tout pour le tout, les tours de passe-passe,

les bateaux de papier et les pétales de fleur,

l'hirondelle qui ne fait pas le printemps,

brouiller les cartes, être amoureux,

traîner les pieds, pleurer pour rien, arracher des chardons,

imprimer sur la neige des pas de deux,

des pas de gazelle sur le plancher des vaches.

J'aime l'olive, les cigales et la couleur de l'eau,

les clowns, les singes et la musique,

la clef des songes et la serrure de l'air,

les pierres de guingois, les nœuds qui sautent,

les grands enfants qui s'élèvent seuls,

les brins de jonc sous l'étreinte des vents,

l'écrin de sable des coraux,

la petite boite ovale pleine de photos de famille,

la matière cervicale du rêve,

les globules d'images dans le sang des paupières,

les cimetières en pente où un Christ se rouille,

la tombe de Van Gogh si simple et si touchante,

les rues sans nom, l'envie d'écrire,

une table dehors, la terrasse,

la montagne, la mer,

les gros matous dans la fraîcheur des impasses,

les façades framboise, la Madeleine de Proust,

les voyages pas à pas, les allers sans retour,

les ceux qui s'aiment, les souvenirs qu'on sème,

la nuit qui tombe ou le matin qui lève,

les pas sur le trottoir et l'odeur du café,

l'espace vécu, le temps qu'il fait,

les feux de plage et le foin des girouettes,

les jeunes filles qui lisent,

les vieux qui fument,

les saules qu'on secoue pour qu'il tombe des larmes.

Jean-Marc La Frenière

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article