A défaut
Pendant que l’écureuil écale des peanuts et des amandes,
l’homme collectionne des pinups et des amendes.
A défaut de mémoire, la table en formica,
le comptoir des bars, la cuirette des bancs,
à défaut d’un stylo, la pelle et le marteau,
à défaut de papier, les pages d’un carnet,
à défaut d’un diplôme, des trous dans ma culture,
à défaut d’écriture, mes bafouilles d’enfant,
à défaut de poésie, des blocs d’alphabet,
à défaut de sagesse, les paroles d’un fou,
à défaut d’un sourire, la mauvaise mine d’un crayon,
à défaut d’un visage, une gueule de bois,
à défaut d’une route, mes deux pieds dans les plats,
mes jambes de coton et mes souliers percés,
à défaut d’une âme, de la peau et des os,
à défaut d’un ruisseau, la vinasse désaltère
la bouche qui a soif,
à défaut de pain rance, le goût des pommes volées,
des mûres dans les ronces,
à défaut de la mer, l’odeur des poissons,
à défaut d’un seul œuf, la blancheur de la neige,
le jaune des pissenlits, l’ictère de la peau,
à défaut d’un enfant, les rides d’un vieillard,
à défaut d’un parfum, la puanteur des chiottes,
à défaut de vermicelle, la varicelle et la variole,
à défaut d’un jardin, la terre en jachère,
le sable du désert,
à défaut d’infini, les cours de religion,
les cours d’école, les coups pendables,
à défaut de soleil, le noir des caveaux,
à défaut d’accolade, les barreaux de la cage,
à défaut d’une caresse, les doigts de l’encre sur la page,
à défaut d’un baiser, une morsure au cou,
à défaut d’un coup de main, les traces d’un mauvais coup,
les coups de poing, les coups durs,
à défaut d’un puzzle, les pièces manquantes du ciel,
à défaut de vaisselle, une tasse ébréchée
en porcelaine de toc,
èa défaut de champagne, un verre de bagosse,
du vin de pissenlit, de l’alcool de patates,
à défait d’amour, une foule en colère,
à défaut d’espérance, une corde pour se pendre,
une dernière balle et des barbituriques,
à défaut de rêve, les effets de la drogue,
en pilule ou en seringue,
à défaut de croyance, la tirelire,
la banque et le veau d’or,
à défaut de vérité, les fake news,
la télé et les réseaux sociaux,
à défaut de quelqu’un bougeant entre mes bras,
la douleur de l’absence,
à défaut d’un lit, une pile de journaux
oubliés dans un squat,
à défaut d’un taxi, une dernière ambulance,
en guise de funérailles, la sourire d’un croque-mort
sous sa gueule d’enterrement.
Jean-Marc La Frenière