Le bois de planche
A Norman
Dans chaque main, je lis une ligne de vie comme on lit dans un livre. Un fleuve d’énergie alimente la terre. Les rides sont des vagues sur la mer des visages. D’un livre à l’autre, mon cœur est en chantier. Mon enfance est morte dans les yeux de mon père. Je lui ressemble depuis qu’il est parti. J’aimerais croire qu’il a trouvé ma mère et l’enlace à nouveau. Même vieux, ils s’aimaient comme des jeunes. Parmi ceux qui n’ont rien, je donne ce que je peux, un coup de main aux amis, un coup de poing aux banquiers, un coup d’œil aux forêts, un peu de cœur en sucre quétaine comme l’amour. C’est à cause de l’ombre que la lumière existe, que les couleurs se mêlent, que la lune est si bleue. C’est à cause de la pluie que les rivières débordent. C’est à cause du désir que le désert est peuplé de mirages. L’imaginaire nous entoure, jonchant le sol de foin d’odeur, se trémoussant comme le blé en herbe. Il suffit d’une larme de rosée, d’une goutte de pluie, du vol d’un oiseau, pour éclairer la vie. Le bois de planche, il faut le cajoler, aimer le cœur des arbres, caresser leur écorce, respecter le chuintement du rabot, les écopeaux d’érable, les glands tombés du chêne. Les folies végétales s’accrochent à mes rêves. Pour une petite lumière, la masse phréatique des mots, il a fallu l’espérance de millions d’hommes, de milliards de lucioles pour éclairer la route. Il me faut parler avec des mots de sève. Des phrases sautent sur les vagues. D’autres s’enfoncent dans la terre. Mes pas prennent le pouls des routes. Il m’arrive de prier un Dieu auquel je ne crois pas. C’est par espoir pour les morts. Le temps travaille à travers nous comme la patine sur le bois et la peinture d’un tableau. Le sang fait tressauter le cœur et agite les mains, poussant l’outil ou le crayon. Un vieil arbre rajeunit quand il devient une table, une chaise, une armoire. La sève crépite encore dans les bûches de l’âtre. Les hommes ont bâti des églises pour s’approcher du ciel. Il suffit de regarder les fleurs au pied d’un arbre pour comprendre la vie. Ne jouant pas de la truelle, j’ai bâti ma cathédrale dans un cœur.
Jean-Marc La Frenière