Les yeux bleus du ciel
Des hommes habitent la haine comme d’autres une cabane. Ils crèvent les yeux bleus du ciel, arrachent les ailes des papillons, répètent des prières à l’envers, maquillent la poésie avec des étrons et des odeurs de pisse. Ils n’ont jamais été enfants. Ils portent en bandoulière des chapelets de balles qu’ils prennent pour le Coran. Ils laissent des taches de sang sur la tâche du malheur. Enrobés de versets et de vers, ils écrasent les fourmilières. Pour invoquer leur Dieu, pour évoquer leur foi, ils massacrent l’amour et emprisonnent les poètes. Ils interdisent la musique, les visages, les peaux nues. Devant eux, les feuilles des arbres sont des larmes. La sève pleure sous l’écorce. D’autres hommes ont mal devant eux. Ils ont honte et colère. Ils bâtissent des maisons d’amour. Ils les peignent de la couleur de l’espoir, sèment des fleurs côté cour. Ils posent des yeux propres sur la douleur du monde.
Les pas des hommes solidifient la terre, tracent des ornières dans l’espace, sèment des souvenirs dans l’humus du temps. La vérité se cache sous les jupes et les fonds de culotte. L’arôme du pain se mêle à l’odeur du sexe. La vie croise la mort dans l’escalier de service, entre la cave et les étages. Plus les pas sont petits et plus la route est longue. Il y a tant de sentiers qui forment un chemin, tant de chemins sous une route commune, tant de pas qui bifurquent. Il y a tant de gestes au bout des mains, tant de mots, tant de phrases entre les lèvres du silence, tant de fruits qui éclatent, tant de ballons crevés, tant de toupies qui tombent le plancher du temps.
Sur les collines et les montagnes, je grimpe plus haut que moi, plus loin que le ventre chaud des femmes, la sueur des bêtes, l’écume des chevaux, la bave des escargots, le venin des serpents, la sève des érables. J’écossais la routine avec un cœur de gosse. J’ai pleuré, j’ai prié, là où le malheur a pris la voix d’un homme, où les enfants ont appris à tricher en devenant adultes. Depuis que les croyants ont appris le maniement des armes, je doute de tout, de l’espoir, de la vie, de l’amour. Je ne sûr de rien. Je doute surtout de l’homme. Le pain trompe la faim. Le vin ronge la soif.
Il arrive que l’âme quitte le corps, que le cœur batte en vain, que l’homme se trompe de langage. À ceux qui sont nomades ne reste que la route. Je suis un escargot. Je porte ma maison sur le dos. Ses murs sont en papier. Je regarde le monde par l’encre des fenêtres. Le moindre des regards déshabille les rues. J’accroche leurs vêtements sur la patère du rêve. Tant de morts ensemencent la terre que les vivants ont peur. Ils font semblant de rire. Dans la vessie immense du sommeil, ils traversent la nuit un fleuve d’insomnies. Chaque regard coule dans le regard des autres. Y-a-t-il un seul homme de libre ? La vérité n’a pas de chemise. Elle sort ses mamelles et les donne à téter. La vérité n’a pas de culotte. Elle s’habille de poèmes et d’espoir. Chaque matin grappille un panier de rosée.
Jean-Marc La Frenière