Les jours barbares

Publié le par la freniere

J’ai passé ma journée à refendre des bûches, sous les quatre grands chênes devant la maison. Ma petite chatte était assise à côté, ses yeux bleus et ronds suivaient chacun de mes gestes. Quand mes épaules étaient plus dures que le bois, je m’appuyais sur la hache et nous échangions quelques mots.

La lumière n’avait jamais été aussi belle

Autour de nous la lumière n’avait jamais été aussi belle. Les prés sont déjà d’un beau vert très gras, piqués de géraniums sauvages et de minuscules myosotis. Plus bas, vers le village, les flaques blanches des pâquerettes éclairent le chemin, les épervières allument mille soleils sur les talus. Les collines ont encore leur fourrure de renard.

Il y a trente-six ans je travaillais dans un hôpital psychiatrique de Marseille, mon corps se couvrait d’eczéma, mes mains, mes bras, mon dos… Un matin je ne suis pas retourné à l’hôpital, je suis parti vers les collines. J’ai posé mon sac dans un minuscule cabanon abandonné.

J’ai ouvert un cahier et je me suis mis à écrire, sous une tonnelle bourdonnante d’abeilles, dans une odeur de miel et de genêts. Je n’avais pas un sou. Huit jours plus tard mes mains étaient propres, mes bras aussi. L’eczéma avait disparu. J’avais récupéré mon corps, ma tête, mon temps. J’étais pauvre et libre. Ma vie enfin m’appartenait. Il y a trente-six ans que j’écris chaque jour, que je marche et que je fends du bois. Il y a trente-six ans que j’évite mes semblables.

Nous écrasons tout ce qui est vivant

Si je n’avais pas deux filles, une femme dont je rêve et trois vrais amis, je penserais que l’homme doit disparaître le plus vite possible de la surface de cette terre. Il a fait tellement de mal…

En quarante ans, nous avons massacré soixante pour cent des vertébrés et nous ne sommes qu’au début de la sixième extinction de masse, la première attribuée à l’homme, l’anthropocène disent certains… Nous avons massacré les baleines, les aigles et les faucons pèlerins, le cheval sauvage de Mongolie, le daim de Mésopotamie, nous avons traqué en jeep l’onyx, aux confins du désert, exterminer les derniers rhinocéros de Java, l’ibis du Japon, la grue blanche américaine, les petits paresseux sont au bord de l’extinction. Nous écrasons tout ce qui est vivant, pour notre jouissance ou pour entasser dans des caves blindées des pyramides de billets de banque.

Partout la main de l’homme, l’œuvre de l’homme. Les vrais rapaces, c’est nous ! Nous avons appelé ces massacres la civilisation. Nous succomberons, broyés par cette civilisation.

René Frégni

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