Trop de questions échappent à leur réponse

Publié le par la freniere

Scrutant l’obscurité, j’appréhende sa lumière. Les bûches qu’on consume font revivre le bois. Toute question échappe à sa réponse. Elle vivote en dessous, à l’envers, à l’endroit, dans la lumière du cœur ou l’ombre dégréée. Faire semblant d’être là, c’est mourir avant l’heure. Je préfère saigner et mâcher l’amertume, sucer les javelles blanches de neige, faire craquer les mots comme des doigts de fée. Le temps fait son chemin. Ses pas grugent l’éternité. Mes enfants en effacent les traces. J’écris pour éloigner le dégoût et la mise en abîme. Je décroche mes mains pour tendre vers chacun l’amitié de mes doigts.

Les regards glissent à la surface des choses. Ils mesurent la densité du vide. Des hommes déshumanisés (pour qui seul compte le profit, l’économie, le pnb) ont fait main basse sur le monde. Nous voilà aux prises avec  la barbarie, les intégrismes religieux, les relents du nazisme. Les travailleurs récurent les chiottes du capital avec la brosse dont on les frappe. Les anges n’ont plus d’ailes, mais des moignons sanglants. Les poumons qui ahanent survivront-ils au smog ? C’est en vain que je rapaille les synapses arthritiques, les neurones épars, les névroses criardes et les encéphalites aiguës. Le cerveau n’obéit plus qu’aux chiffres, aux algorithmes, aux téléphones portables. Je m’ennuie des coups pendables et de leur naïveté, des jouets qu’on brise pour mieux les réparer, des joues rouges en hiver, des systoles et diastoles du cœur.

Le maquillage coule sur le visage du monde, accentuant les rides et les plis de la peau. Dans la rumeur ambiante, comment dire à sa blonde qu’on l’aime ? Je m’éveille dans le courant des phrases. Vais-je trouver l’espoir au bout du désespoir ? Je ne perds pas une once de tendresse dans la livre des heures, un seul gramme d’amour dans un kilo de haine. Au milieu de l’ombre, il est bon de s’imbiber de lumière, de croire à la clarté avoisinant la nuit. La paix des colombes affronte les vautours et leurs engins de guerre. Il y a trop de Trump, des dictateurs, de fascistes, pas assez de Charlot, sa canne et son melon, trop de religions, pas assez de laïques, trop d’automortelles, pas assez de vélos, trop de béton et de bêtises, pas assez de cours d’eau, trop d’aigles américains, pas assez d’hirondelles.

Très souvent, on change de trottoir. On refait l’embrouillamini des pas, la courbe des pensées, l’algèbre des silences. On tisse la mémoire avec le fil des souvenirs. On assaisonne les saisons. On met du sel sur la plaie, du poivre dans la soupe verbale. Les choses qui n’existent pas se mettent à vivre sur le soutien des mots. Chaque mot est une pièce dans le puzzle des rencontres. Des bulles de rêve pétillent dans le verre du réel. Pour voir l’invisible, je cherche des morceaux de paysage, le bleu du ciel et celui de la mer, les ombres de la terre, le feuillage des arbres, le pistil d’or dans les fleurs, le miel dans les ruches, les gouttes de rosée sur les fils d’araignée, les osselets dans la main d’un enfant, le goût de l’ail dans la soupe, le bruit des pas sur le gravier, l’absolu dans le pubis humide, les beuglements de la vache que l’on oublie de traire, les couinements de souris dans une meule de foin, la main de la nuit qui entoure la verge, ses doigts qui bougent où c’est fendu. Les orteils des arbres s’agrippent à la terre.

Sniper du réel, la culasse d’un fusil a remplacé mon œil. Chaque geste du corps est un signal d’alarme. Je laisse sur la route une trace de limace, une trace de pneus, une trace de brakes, une trace d’urine, un petit lac de boue. Mes pieds s’enfoncent pour de bon dans l’humus des jours. Quand je nomme les arbres, mes mots sentent le bois, mes phrases goûtent le foin. Les images intérieures sauvent les yeux des aveugles. L’écriture fait apparaître les choses, les pensées, la faim, la soif, l’absence, la présence. Quand le malheur m’écrit, je ne réponds jamais. J’envoie une lettre au désespoir, un courriel à l’espoir, un billet de Pascal qui brûle sur la peau. Je donne un petit nom aux camarades, un surnom aux rivières. Je transforme les syllabes en silence. J’absorbe le paysage par les yeux, les oreilles, la bouche. Je touche aux choses par les mains, les orteils, les pieds. Je donne mon cœur par amour. La grammaire vit de sa propre vie.

 Je décompose la lumière par le prisme des yeux. J’essuie une charge d’images pour que ressortent les couleurs. Je frotte la page avec des mots, l’essuie-tout d’une gomme, une grammaire en guenille. Chaque mot est un geste manqué. Chaque geste est un mot. Chaque corps a son cœur et son petit moteur. Quand on parle de réalité, il n’y a pas de différence entre la merde et la neige, la route sans fin et la longueur du chemin, la langue et la langueur, le verbe et la parole, les urinoirs de la bêtise et les urnes où l’on vote. On a beau souffrir ou faire la fête, on a toujours besoin de larmes. On a beau faire ou ne rien faire, on a toujours besoin de gestes. On a beau dire ou ne rien dire, on a toujours besoin de mots. Toute page blanche est un piège. On ne sait jamais ce qu’elle va dire. Les mots n’en sortent pas indemnes.

Jean-Marc La Frenière

 

 

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