À la croisée des errances

Publié le par la freniere

Je suis à la croisée des errances, au carrefour des routes, entre une phrase et l’autre. Rien n’a vraiment changé, ni la misère ni la soif, ni l’injustice ni la faim. Je crache à la figure des maîtres, au faciès des p’tits boss, au visage des banquiers. Je souris pour une poignée de griottes, un baiser sous les arbres, un bout d’azur sous la pluie, un asile sous les branches, un verre pour la soif. Les mots sont des cerises. J’en suce le noyau. Les vers se cachent sous les guenilles de l’herbe. La pluie baigne les mots. Tout flotte sur la page comme mes souliers dans la gadoue. Les cédilles humides ressemblent aux escargots. L’enfant qui tourne, tourne, tourne sur un cheval du carrousel, la saveur d’un fruit, les demoiselles en patins sur l’étang, les ritournelles d’hirondelle, la petite bête du cœur, les voleurs de pommes et de brioches, les bulles qui explosent, les fleurs qui éclosent sont des images du plaisir.

C’est la passion qui m’arrache la voix. J’aime toutes les couleurs, sauf la couleur locale, le teint blême des hôpitaux, le gris sale des taudis, le rouge des blessures, les bleus du cœur. Je vis dans un pays de plaines et de montagnes, de vaches et de chevreuils, de prés et de rivières à truites, de rhumes et d’eau d’érable, de cèdres et d’aubépines. L’éternuement des quads fait taire les oiseaux. Le vent tricote les aiguilles de pin et dépeigne les franges d’épinettes Les champignons d’eau engraissent les anguilles. Une poignée de mésanges s’échappe vers le ciel. L'univers n’est pas plus vaste qu’un atome. Pas un seul pédagogue n’enseigne mieux le monde qu’un insecte, un arbre, un torrent de colline, une louve et ses petits. Chaque sentier de montagne nous mène au paradis.

Les arbres sont chargés d’oiseaux. Ils se répondent d’une branche à l’autre comme l’eau des rivières qui chante à chaque vague. Il me faut des montagnes dans mes bribes de mots, des rochers, des terrains, des terrils, des rivières, des sentiers raboteux, des aulnaies, des pinèdes. Le pollen virevolte de broussaille en broussaille. J’ai longtemps fait route à pieds, dormant dans une bicoque en bois, près d’un petit ruisseau, ayant mis des siècles à se creuser. Plus loin, du ventre des collines, l’eau des torrents rugit comme une bête. Les corneilles croassent. Un vautour guette sa proie, musaraigne, campagnol ou rat d’eau. Je ne cesse pas de tatouer la chair de poule. La peur conjugue le sublime et la panique, la chance et la raison. Pêcheur d’ombles et de truites, pêcheur d’ombres et de rêves, je jette ma ligne dans le courant des phrases. Je pousse une porte à chaque pas. J’ouvre les yeux d’une fenêtre.

Jean-Marc La Frenière

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