Comme un enfant perdu

Publié le par la freniere

Je traverse les mots comme un enfant perdu qui cherche ses parents. J’écoute sur les rails le passage des trains. Je fais des signaux de fumée sur le territoire des Indiens, des signes de piste sur la boue des sentiers. Je laisse des pas fangeux au fond des fondrières. Le pollen féconde le papier des poèmes et même les boulettes qui finissent au panier. De grosses mouches velues tapissent l’émail du bain. Je laisse couler l’eau. Les fientes noires du rêve disparaissent à mesure. Le soleil des mots se lève dans la clairière du silence, faisant éclore des fleurs de rhétorique. Le sel des tempêtes fait rouiller les épaves comme des vieux poèmes. Si Pessoa n’est personne, je le suis encore moins. Les souvenirs refluent avec les diastoles du cœur. La mémoire est un fouillis d’ondes courtes, un immense bavardage balloté par le temps, un appel d’air dans la tête.

Quand le train passe, on dirait que les vaches le saluent ou lui font des prières. Autrefois, une sirène répondait. Aujourd’hui, il n’y a plus que le bruit du fer contre le fer, des roues contre les rails. Il n’y a plus de fumée pour répondre aux nuages. Je ne crains pas le ridicule, les fleurs bleues, la vie en rose. Les souvenirs d’enfance enjolivent le temps, transformant les fils téléphoniques en mariages d’oiseaux. La mémoire embellit les routes, les chemins de campagne, les sentiers où les fourmis s’amusent. Le paysage est une ivresse pour les yeux. Chaque vague est tirée par le tracteur de l’eau. Chaque feuille d’un arbre, chaque éolienne, chaque nuage est poussé par le vent. Chaque œuvre d’art garde l’œil plus vivant. Chaque page d’un livre éveille l’esprit. Le prisme des couleurs irise le regard.

Le printemps inonde de verdure les trous du paysage. Les arbustes font naître la forêt. J’assiste à la classe des mots, à l’école buissonnière, à la leçon de choses, à la chasse aux papillons, à la chiasse des moissons. La terre est un garde-manger qu’arrose l’urine jaune. Lorsque tout va de mal en pis, je m’assieds sur une pierre comme au fond d’un sofa avec la vague idée d’un amour de jeunesse. Je déguste des fruits frais, fraises, framboises, frangipanes. L’essence s’évapore sous l’odeur de l’humus. Le sang des abattoirs se mêle à celui des affaires. Le pollen se répand sur les ailes des abeilles. Je me promène en été et non pas une auto. Le poète se tient au bord d’une falaise, cherchant la lumière tout autant que l’ombre. Dans l’atelier des meubles et cercueils, les copeaux de bois forment une neige blonde. Je pleure d’être un homme, plus souvent que j’en ris. Je n’ai pour me vêtir qu’une chemise tachée d’encre, un string de voyelles, un langage de voyou, un argot de canaille. Je surine les phrases avec un vieux canif, un opinel crochu, un couteau de boucher sur l’étal d’un livre.


Jean-Marc La Frenière

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