Le ciel est noir tant il est bleu

Publié le par la freniere

Le  ciel est noir tant il est bleu

Le ciel est noir tant il est bleu.
comme une menace sur nous tous, de pourriture et de feu.
Tout rire s'est assombri, et au bord de la route
les petits cailloux blancs ouvrent tout grand la bouche.
Des absences de vie
se moquent de la vie.
et les acharnements étouffent tout effort.
[...]
Béantes, portes et fenêtres bâillent
comme des hyènes faméliques,
toutes les petites âmes laissées pour compte
désirent larmes et caresses,
et les gosiers des gouffres,
et vertus, et péchés,
je me promène
lourd comme un ours
et je m'amène
avec beaucoup de dignité,me régale de romans de gare,
et jouis d'une terriblement bonne santé.
«Fais un peu attention, vantard!»
hurlent avec des voix de titans, comme seul l'océan
furieux sait rugir et mugir,
les tout petits cailloux blancs
et muets sur la terre,
où si souplement
on marche, il y a quelque chose en nous tous
qui aimerait éclater en
clameurs, est-ce cette humanité anéantie, qui crie au secours?
Qu'y-t-il en moi qui ose tant de lenteur et de calme ?
Une jolie loque
fume sa clope,
sourit de voir ses jambes
mollement allongées.
Dormons-nous sur notre savoir
comme sur des coussins de velours?
Arrêtée net,
comme un cul-de-sac,
surprise qu'un sort l'exige,
la force qui montait se fane.
les libertés sont-elles pour nous un cachot sombre et asphyxiant,
fallait-il que sur tout épanouissement
règne ce monstre hideux et grimaçant?
Es-tu bourré,
pour oser malgré tout espérer?

-Robert Walser

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