Le coeur usé jusqu'au trognon

Publié le par la freniere

On ne sait pas de quoi sont fait les hommes, encore moins les enfants. On sait pour l'eau et les os, le sang et les virus, les microbes et la chair, les neurones et la peau, mais que sait-on de la musculature de l'âme, des cris du cœur, des histoires d'amour? Toutes les essences de bois ne se prêtent pas à la sculpture. Toutes les graines ne sont pas bonnes pour la culture. Tous les hommes ne sont pas des soldats. Toutes les femmes ne font pas des enfants. Toutes les sources ne mènent pas à la mer. La respiration du monde dépend de celle des océans. Il ne reste qu'environ 300 espèces de tortues, et la plupart sont en danger de disparaître. Parfois, les petites choses importent plus que les grandes. C'est par le plancton que respirent les mers. C'est aussi le plancton qui nourrit les baleines. L'ancêtre des hommes vivait dans les hauteurs. Il voyageait de branche en branche. Ce sont les arbres qui ont façonné son corps. Nos mains sont encore faites pour s'accrocher aux branches. Les enfants apprennent beaucoup en grimpant dans les arbres. Au lieu de connaissances abstraites, ils apprennent la vie. Ce n'est pas de l’anthropomorphisme. La vie des arbres est différente de celle des hommes. Sans devenir des arbres, nous devrions les écouter et collaborer avec eux. Il est contradictoire qu'on doive les couper pour écrire, mais c'est plus naturel que de lire sur un écran. Les vers s'attaquent aux fruits. Les vagues transforment les rivages. Les rides façonnent les visages. Il faut qu'il en soit ainsi dans l'écriture, sinon, où serait la vie. Il faut briser les lois du classicisme, laisser surgir le baroque, l'effeuillaison, la genèse, l'immense pourriture sous-jacente à la terre, les taupes, les vers de terre, les ténébrions, semer dans la sphaigne et l'humus, caresser la pierre, ses cicatrices, ses entailles, ses entrailles, ses bavures de quartz ou de mica.

 

Pendant que des milliers d'enfants meurent de faim, on vend à chaque jour des milliers de Barbies. On élève partout les barbelés d'un camp pour les migrants du monde qui survivent à la mer, aux passeurs, aux pirates, aux vieux rafiots rouillés. Chacun a son nombril comme un drapeau. C'est assez pour se battre et faire la guerre, assez pour s'enrôler dans l'armée des fantômes. Je mets n'importe quoi dans mes cahiers, des animaux vivants, des corps morts comme des bouteilles vides alignées sur un boutte de prélat, bouteilles de verre ou de plastique, bouteilles de bière ou d'eau potable, des coups pendables, des cours d'école bruyantes de vie, des cormorans naviguant sur la grande mer de l'air, des grands-pères et des puddings, des dumplings, du pain, du sang, de la sueur, des larmes comme des gouttes de pluie, des rires cassés comme le cri des huards, l'âme des pauvres gens comme un torchon séchant sur le rebord du sink et les bas s'égouttant sur l'émail d'un bain Crane. Je mets n'importe quoi. Tout se mélange dans la vie, la naissance et la mort, l'huile à vidange et l'huile de bras. Pourquoi pas l'islam avec la chrétienté, les moujiks et les texans, les chintoks et les amérindiens, les vers d'un poème avec les verres fumées, les vers de terre avec les mouches à fruit. Les soldats se feraient jardiniers, les prêtres musiciens. Les banquiers redeviendraient des hommes et aideraient les pauvres. On peut bien rêver dans ce monde sans âme et remplacer l'argent par des sentiments, des émotions, des mots. La parole est comme un pain que l'on porte à la bouche, la levure des images dans la farine des mots, une croûte saupoudré d'alphabet, un croûton qu'on trempe dans la soupe, une lumière s'échappant de la nuit. Le cœur usé jusqu'au trognon, je chante encore la pomme.

 

Jean-Marc La Frenière

 

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