Éblouis...
Eblouis, brisés, nous rejoignons les plaines, les demeures. Une
fois encore les miracles s'éteignent, les aubes s'allument.
Les monstres redeviennent monstres, infirmes les infirmes,. Les
effrayés retournent à leur effroi, les fous à leur folie.
Nous rejoignons les salles à manger où nous toucherons à peine au pain, les chambres où nous ne nous toucherons presque pas.
Déjà, sans nous quitter, nous faisons des signes qui ressemblent à ceux de l'adieu.
***
Un peu voûté, on va, les mains abandonnées dans celles du hasard ou enfouies au fond des poches comme deux petites bêtes frileuses, comme deux objets ronds, inutiles au bout de soi-même. On a l'air de parler à des absents. On parle à des visages lointains, perdus ou morts, parfois aux yeux d'un chien qui peureux marche contre vos jambes. En fait, on ne dit rien. On prie les larmes de ne pas venir ou s'il faut, de venir la nuit juste avant le sommeil, dans le secret des chambres. Et l'on va, courbé, comme si la légèreté d'être était encore trop lourde.
-André Schmitz (1929-2016), Raclements d'ailes, L'Arbre à paroles/Phi/Ecrits des Forges, 1994