J'aurai ton âge
à mon père Arthur Pleau (1922-1976)
"en quelques lignes
comment rejoindre le soleil perdu
que tu retiens
je t’écris
tel un décalque
dans l’effleurement des feuilles
mes poèmes
sont fréquemment ton contour
mais je ne le dis à personne
alentour de moi
le monde est sans toi
par-dessus ton épaule
la lumière n’avait aucun défaut
j’aurai tout fait pour m’approcher
de ta voix
trouver refuge dans une parole
qui s’élèverait avec la mienne
et si les mots
comme une corde
que je tire vers moi
ramenaient une image un appel
une certaine éternité
j'aurai bientôt ton âge
toi mon père allongé
au bout de chaque page
comme un tissu de pierre
qui maintient tout ensemble
les morts ne savent rien de la mort
sinon une lampe de terre
sans la pesée de la flamme (...)
tes lèvres étaient le dernier alphabet
je me souviens d’avoir trébuché
sur ton ombre
personne n'osait la franchir
j'ignorais alors que les fenêtres
seraient le refuge de certains paysages
plus lents que d'autres
j'avais en moi
des distances immuables
souvent je me penche au-dessus de ton nom
étrange abécédaire de l’ombre (...)
que retenir de tout cela
je sais que l’absence
est l’infini reflet de soi"
Michel Pleau, "J'aurai bientôt ton âge", Éditions David, 2018