Jean-Pierre Spilmont
Patiemment j'ai cherché la face du silence. Son visage. Et je n'ai longtemps rencontré qu'un faible bruissement. L'écho fragile d'une plainte en jachère.
Il fallait traverser le fleuve. Atteindre l'autre rive, pour accéder enfin aux portes du désert.
Au seuil d'un non-formulé, d'un non-prononçé. Là où toute parole s'éteint. Où la dernière braise s'apprête à devenir cendre.
Un jour, pourtant, on s'aperçoit que le silence n'était que de la durée.
Du temps.
Le territoire de temps nécessaire à la gestation, à l'émergence, à l'enfantement.
Et l'on comprend alors que le silence n'est que l'inverse de l'absence.
Son revers, peut-être. Son visage enfin démasqué.
L'incessant message d'un possible.
La vibration d'un corps. Son prélude.
Peut-être le silence n'est-il que l'aboutissement de tout langage, de toute conscience. Un chemin de crête. Comme si tout ce que l'on dit , tout ce que l'on écrit, tout ce que l'on sait ne pouvoir naître, s'accomplir et trouver sa fin que dans l'innocence des origines.
«Lire Jean-Pierre Spilmont c'est ouvrir les fenêtres sur le large et sur l'autre, c'est participer à sa ferveur d'exister. J'ai souvent respiré à l'intérieur de ses poèmes; ils contiennent à la fois les "gestes de l'eau" et la mémoire profonde. Ils ont pouvoir sur ce temps. Je les ai souvent lus, écoutés. Chaque fois c'était mieux entendre ce qui vibre au fond de soi; c'était recueillir tout ce qui multiplie et féconde une existence.»
Andrée Chedid, in Aube Magazine, 1991
· Lumière des mains suivi de L'incessant tourment d'espérances, cadex, 2005
· Retable, éd. Les déjeuners sur l'herbe, 2005
· Un instant de sable, calligraphies de Denise Lach,Terres d 'écritures, 2002
· Une Clarté de Passage, Cadex, 1996
· Lumières des mains, Cadex, (4°édition) traduction allemande deR Fisher, Verlag im Wald, 1995
· Dans le désert du sang, L’envol, 1994
· Les lamentations d’Asnatée, Le Verbe et l’Empreinte, 1989
· Cicatrices du Silence, Le verbe et l’Empreinte, 1985
· L’Autre Je, Fagne, 1975
· L’Orée, la déchirure, poèmes, Rougerie, 1971
· Moraine Absolue, poèmes, Rougerie, 1970
· Lisières, poèmes, Rougerie, 1969
Romans, essais
· Cinéma Muet, La Passe du vent, 2004
. Chroniques de rêve, Comp’act, Photographies Lionel David, 2002
· Soleils Nomades, Flammarion, 1985, réédition 1998 et 2000 aux éditions la Passe du vent,
· Jours tranquilles à Vinsobres, chronique d’une résidence, La passe du vent, 2000
· La traversée des Terres Froides, Paroles d’Aube, Livre lauréat Lettres Frontières, 1999
· Jacques Balmat dit Mont Blanc, Albin Michel, Prix du livre d’Histoire de la SGDL , 1987, réédition en 2003 aux éditions Guérin
· La vallée des Merveilles, Attinger, 1985
Théâtre
. Little Boy-Manatthan, La Main Multiple, 2005
· L’hiver nous descend lentement sur l’épaule, création au théâtre de Thiers, 2002
reprise à Mouscron, Belgique dans une mise en scène de François Vandorpe, 2004
reprise au théâtre de la Croix- Rousse, à Lyon, dans une mise en scène de Martine Van de Peene,2003
. Pinocchio e il filo del cuore, créé au théâtre Laudi à Florence, Cie Occupazione Farsesche, 1998
· Beatrice et Francesco, oratorio, musique de Giovana Marini, 1996, création Montpellier théâtre le Chai du Terral
· Les Lamentations d’Asnatée, texte pour une cantate, création à Lyon , chœurs et orchestre de l’IUFM, 1996
· Il fallait inventer la mer, en résidence à la Chatreuse de Villeneuve les Avignon créé au Festival d’Arrezzo 1996, 1995
Dans ce désert, peut-être, où les dieux n’ont jamais parlé.
Ils sont absents de puis si longtemps qu’on a lentement fini par les oublier
Il y a dans le monde des lieux où la lumière n’arrive pas.
Des lieux d’exil où l’on se tient à distance pour oublier la lente défoliation des jours
Pourtant, le matin se lève ici comme il le fait à Shanghai, à Prague ou à Persépolis.
Et l’on doit chaque matin renouer avec le désir
Ici, le soleil finit juste de se lever
Un grand murmure vert accompagne le vent.
la dernière bûche, la pensée m'est venue que seul valait le sourire du corps.
C'était comme une révélation soudaine. Une évidence. Une violence aussi.
A la fois plainte et révolte des chemins de tout l'être. Nus. Soudains désertés.
Sourire du corps. Sourire de la terre. Les mots se sont imposés à moi,
mais j'ai su aussitôt que je n'en ferais que lentement, très lentement le tour.
Il faut une vie parfois pour connaître notre parole. Peut-être même son sens ne nous
Je vous imaginais, hommes et femmes, vieux de trois milliers d’années. J’aurais voulu vous reconnaître, mais vous aviez déjà tracé l’itinéraire d’une existence où se croisait encore, où se croiserait à travers le temps, ce qui vous tînt debout et nous aide aujourd’hui à ne pas abdiquer : rien que de très banal au fond. Cet ordinaire désir d’aimer, malgré nos manques, nos incertitudes et nos reniements. L’ordinaire désespoir. L’ordinaire solitude. Le doute aussi. Et les refus. Et l’ordinaire désir de vivre. L’ordinaire folie de vivre qui nous appelle chaque jour à inventer un pays définitivement apaisé dont nous n’apercevrons jamais pourtant, que des contours diffus, que des chemins courant se perdre dans la brume et dont nous n’espérons rien. Rien que de s’y retrouver simplement voyageurs, peut-être.
Le pays se resserre comme un village après la pluie. Il s’offre, douloureusement. La lumière s’y mesure tout le jour aux quatre pans des toits offerts au dénuement du ciel.
Je rêve souvent d’une écriture nomade. Hors du temps. Pour n’être plus muet à l’intérieur de moi et que se déchirent peu à peu les enveloppes du silence.
Je marche maintenant au centre d’un pays
où toute liturgie prend source
sur le seuil de votre visage.
Un pays de misère et d’effroi
un pays d’aller, un pays d’attendre
un pays d’aimer
où, après tant de nuits difficiles,
jour après jour je désapprends l’oubli.
Je crois ne vous avoir jamais perdue des yeux
je sais vous avoir attendue, parfois,
sans rien espérer d’autre que de poursuivre cette attente
je garde la mémoire d’être aussi monté jusqu’à vous
quand il se faisait tard aux vitres de ma solitude.
Qu’ai-je à vous offrir aujourd’hui ?
rien, peut-être, si ce n’est
l’interminable litanie de mon sang
où ma mémoire s’éclaire
au temps qui va
au temps qu’il fait
au temps qui s’ouvre et se dénoue
dans l’incessant renouvellement
de l’arc de lumière
qui repose un instant
au bord de vos paupières
pour y transfigurer l’instant
J'ai perdu le chemin par où je suis venu
et vous avez disparu peu à peu
avec un soupir d'aile.
Un soleil froid fondait doucement
dans la glace du fleuve, sur la rive duquel j'aurai aimé vous voir courir
Ou pour longtemps.
La neige vacillait comme une lumière de bougie, comme
un flamboiement de chandelle
pour éclairer le contour d'un visage.
de nous ne savions quelle aurore,
plus rien d'autre
Mais ne répondez pas à mon appel si je vous fais le moindre signe
aujourd'hui.
Votre regard ne me serait rien d'autre qu'un sursis et
vous ne reconnaîtriez qu'un
brouillard anonyme,
solitaire,
montant sans bruit au ras des heures
Lorsque je m’éveille, parfois,
Un parfum de bougie morte.