Jean-Pierre Spilmont

Publié le par la freniere

Patiemment j'ai cherché la face du silence. Son visage. Et je n'ai longtemps rencontré qu'un faible bruissement. L'écho fragile d'une plainte en jachère.
Il fallait traverser le fleuve. Atteindre l'autre rive, pour accéder enfin aux portes du désert.
Au seuil d'un non-formulé, d'un non-prononçé. Là où toute parole s'éteint. Où la dernière braise s'apprête à devenir cendre.
Un jour, pourtant, on s'aperçoit que le silence n'était que de la durée.
Du temps.
Le territoire de temps nécessaire à la gestation, à l'émergence, à l'enfantement.
Et l'on comprend alors que le silence n'est que l'inverse de l'absence.
Son revers, peut-être. Son visage enfin démasqué.
L'incessant message d'un possible.
La vibration d'un corps. Son prélude.
Peut-être le silence n'est-il que l'aboutissement de tout langage, de toute conscience. Un chemin de crête. Comme si tout ce que l'on dit , tout ce que l'on écrit, tout ce que l'on sait ne pouvoir naître, s'accomplir et trouver sa fin que dans l'innocence des origines.

Il est né en 1937 et vit en Savoie.

«Lire Jean-Pierre Spilmont c'est ouvrir les fenêtres sur le large et sur l'autre, c'est participer à sa ferveur d'exister. J'ai souvent respiré à l'intérieur de ses poèmes; ils contiennent à la fois les "gestes de l'eau" et la mémoire profonde. Ils ont pouvoir sur ce temps. Je les ai souvent lus, écoutés. Chaque fois c'était mieux entendre ce qui vibre au fond de soi; c'était recueillir tout ce qui multiplie et féconde une existence.»
Andrée Chedid, in Aube Magazine, 1991

 
poésie

· Lumière des mains suivi de L'incessant tourment d'espérances, cadex, 2005
·
 Retable, éd. Les déjeuners sur l'herbe, 2005
·
 Un instant de sable, calligraphies de Denise Lach,Terres d 'écritures, 2002
·
 Une Clarté de Passage, Cadex, 1996
·
 Lumières des mains, Cadex, (4°édition) traduction allemande deR Fisher, Verlag im Wald, 1995
·
 Dans le désert du sang, L’envol, 1994
·
 Les lamentations d’Asnatée, Le Verbe et l’Empreinte, 1989
·
 Cicatrices du Silence, Le verbe et l’Empreinte, 1985
·
 L’Autre Je, Fagne, 1975
·
 L’Orée, la déchirure, poèmes, Rougerie, 1971
·
 Moraine Absolue, poèmes, Rougerie, 1970
·
 Lisières, poèmes, Rougerie, 1969

Romans, essais

· Cinéma Muet, La Passe du vent, 2004
. Chroniques de rêve, Comp’act, Photographies Lionel David, 2002
·
 Soleils Nomades, Flammarion, 1985, réédition 1998 et 2000 aux éditions la Passe du vent,
·
 Jours tranquilles à Vinsobres, chronique d’une résidence, La passe du vent, 2000
·
 La traversée des Terres Froides, Paroles d’Aube, Livre lauréat Lettres Frontières, 1999
·
 Jacques Balmat dit Mont Blanc, Albin Michel, Prix du livre d’Histoire de la SGDL , 1987, réédition en 2003 aux éditions Guérin
·
 La vallée des Merveilles, Attinger, 1985

Théâtre

. Little Boy-Manatthan, La Main Multiple, 2005
·
 L’hiver nous descend lentement sur l’épaule, création au théâtre de Thiers, 2002
reprise à Mouscron, Belgique dans une mise en scène de François Vandorpe, 2004
reprise au théâtre de la Croix- Rousse, à Lyon, dans une mise en scène de Martine Van de Peene,2003
. Pinocchio e il filo del cuore, créé au théâtre Laudi à Florence, Cie Occupazione Farsesche, 1998
·
 Beatrice et Francesco, oratorio, musique de Giovana Marini, 1996, création Montpellier théâtre le Chai du Terral
·
 Les Lamentations d’Asnatée, texte pour une cantate, création à Lyon , chœurs et orchestre de l’IUFM, 1996
·
 Il fallait inventer la mer, en résidence à la Chatreuse de Villeneuve les Avignon créé au Festival d’Arrezzo 1996, 1995

Où serons-nous demain ?

Dans ce désert, peut-être, où les dieux n’ont jamais parlé.

Ils sont absents de puis si longtemps qu’on a lentement fini par les oublier
Il y a dans le monde des lieux où la lumière n’arrive pas.
Des lieux d’exil où l’on se tient à distance pour oublier la lente défoliation des jours
Pourtant, le matin se lève ici comme il le fait à Shanghai, à Prague ou à Persépolis.
Et l’on doit chaque matin renouer avec le désir

Ici, le soleil finit juste de se lever
Un grand murmure vert accompagne le vent.

 
 
Soleils nomades
 
Je suis venu ici pour désapprendre.Cette nuit, alors que je jetais au feu

la dernière bûche, la pensée m'est venue que seul valait le sourire du corps.

C'était comme une révélation soudaine. Une évidence. Une violence aussi.

A la fois plainte et révolte des chemins de tout l'être. Nus. Soudains désertés.

Sourire du corps. Sourire de la terre. Les mots se sont imposés à moi,

mais j'ai su aussitôt que je n'en ferais que lentement, très lentement le tour.

Il faut une vie parfois pour connaître notre parole. Peut-être même son sens ne nous

est-il donné que par éclairs ou plutôt, par nécessité...




Lumière des mains

Je vous imaginais, hommes et femmes, vieux de trois milliers d’années. J’aurais voulu vous reconnaître, mais vous aviez déjà tracé l’itinéraire d’une existence où se croisait encore, où se croiserait à travers le temps, ce qui vous tînt debout et nous aide aujourd’hui à ne pas abdiquer : rien que de très banal au fond. Cet ordinaire désir d’aimer, malgré nos manques, nos incertitudes et nos reniements. L’ordinaire désespoir. L’ordinaire solitude. Le doute aussi. Et les refus. Et l’ordinaire désir de vivre. L’ordinaire folie de vivre qui nous appelle chaque jour à inventer un pays définitivement apaisé dont nous n’apercevrons jamais pourtant, que des contours diffus, que des chemins courant se perdre dans la brume et dont nous n’espérons rien. Rien que de s’y retrouver simplement voyageurs, peut-être.
 
L’Incessant tourment d’espérances

Le pays se resserre comme un village après la pluie. Il s’offre, douloureusement. La lumière s’y mesure tout le jour aux quatre pans des toits offerts au dénuement du ciel.

Je rêve souvent d’une écriture nomade. Hors du temps. Pour n’être plus muet à l’intérieur de moi et que se déchirent peu à peu les enveloppes du silence.

 
 
Lieu d’un visage

Je marche maintenant au centre d’un pays
où toute liturgie prend source
sur le seuil de votre visage.
Un pays de misère et d’effroi
un pays d’aller, un pays d’attendre
un pays d’aimer
où, après tant de nuits difficiles,
jour après jour je désapprends l’oubli.

Je crois ne vous avoir jamais perdue des yeux
je sais vous avoir attendue, parfois,
sans rien espérer d’autre que de poursuivre cette attente
je garde la mémoire d’être aussi monté jusqu’à vous
quand il se faisait tard aux vitres de ma solitude.

Qu’ai-je à vous offrir aujourd’hui ?
rien, peut-être, si ce n’est
l’interminable litanie de mon sang
où ma mémoire s’éclaire
au temps qui va
au temps qu’il fait
au temps qui s’ouvre et se dénoue
dans l’incessant renouvellement
de l’arc de lumière
qui repose un instant
au bord de vos paupières
pour y transfigurer l’instant

 
 
Une part d'étincelles
 
Il faisait très froid sur le fleuve
Un cargo rouge
Avançait lentement.
La dérive des glaces était comme un signal.
Ou comme une prière

J'ai perdu le chemin par où je suis venu
et vous avez disparu peu à peu
comme un très léger refrain
qui lentement s'efface
et finit par s'éteindre
sur les lèvres du passé.
  
La douce morsure des arbres montait avec l'hiver
et   j'avais à nouveau perdu la mémoire de mon âge
en murmurant la longue litanie
des villages entrevus
J'ai entendu les heures se froisser une à une
avec un soupir d'aile.

Un soleil froid fondait doucement
dans la glace du fleuve, sur la rive duquel j'aurai aimé vous voir courir
quand vous étiez enfant.  
 
Puis,
ce fut comme s'il neigeait dans ma tête
en attendant que le jour se lève
et que le bruit que font les villes
nous réveille
enfin.
Pour quelques heures
Ou pour longtemps.

La neige vacillait comme une lumière de bougie, comme
un flamboiement de chandelle
pour éclairer le contour d'un visage.

Quelques uns s'étonnaient de nous voir dispersés
en quête
de nous ne savions quelle aurore,
ne sachant ce qu'il adviendrait
quand le vent tomberait, ou
quand l'épinette blanche abandonnerait son ombre
aux mésanges.
 
Ne sachant ce qu'il adviendrait
quand les enfants d'ici n'attendraient
plus rien d'autre
que de sentir couler
sur leurs joues
des fragments d'histoires oubliées
capables de réveiller le vieil hiver
à l'autre bout du fleuve
ou de la mer.
 
Ne rien toucher.
Regarder seulement le ciel
ou ce qu'il en reste
et rejoindre la minuscule clarté d'un refuge, là,
où d'autres voyageurs, avant de s'éloigner,
ont   préparé quelques bûches
à l'attention du nouveau venu
qui n'a jamais eu de visage
 
On se croise.
On se croisaient depuis longtemps déjà.
Aux angles des rues fantômes qui
débordent de pluie et de nuit.
Pourtant,
nous nous reconnaîtrons peut-être un jour.

Mais ne répondez pas à mon appel si je vous fais le moindre signe
aujourd'hui.
Votre regard ne me serait rien d'autre qu'un sursis et
vous ne reconnaîtriez qu'un
brouillard anonyme,
solitaire,
montant sans bruit au ras des heures

Lorsque je m’éveille, parfois,
Il ne reste rien sur la page
qu’une fine couche de cire.
Un désespoir d’outre-ciel,
Un parfum de bougie morte.
 
J’avais oublié le premier feu des hommes
J’avais oublié que seules les femmes
en étaient les gardiennes.
           
J’ai supplié qu’on me garde
une part d’étincelle.
Une seule.
Pour le dernier convive.
 
Québec, L’Ile d’Orléans
Un matin de décembre 2005
 
Jean-Pierre Spilmont
 
 
 
 
 
 
 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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