Cher Léo
Cher Léo,
Il y a dix ans que tu n’écris plus de musique.
Il y a dix ans déjà que tu vis là-haut avec la musique des anges – ou de Lucifer
(oui, je préfère…)
Il y a dix ans , au moins, que moi , je n’écris plus de poésie (mais cela n’intéresse personne…)
« A la galerie j’farfouille, dans les rayons d’la mort », disais-tu…
Là, pour le coup tu y es !
Cher Léo,
Sous le pont Mirabeau coulent toujours les cadavres de verre de Paul Celan et Ghérasim
Luca ;
De là-haut, qu’est-ce que tu vois ?
Le poignard gris de Baudelaire planté en plein cœur de mes vingt ans.
Ta guenon qui fait ses pompes dans le bois de Vincennes.
L’épaule bleue de la mer navigue dans le brouillard.
Qui a fumé le drapeau noir ?
Où se sont envolés nos poings levés ?
La BMW d’Alain Juppé roule à nos frais sur le périph de nos baisers.
Les lunettes noires de Pinochet flottent dans l’évier crasseux de la France d’En Bas.
Le pistolet à billes de Sarkozy fait le tapin à la sortie des collèges.
Mais que fait Guillaume Apollinaire ?
Qui donc encaissera le chiffre d’affaire de Mallarmé ?
Et la jambe coupée de Rimbaud, dans quel caniveau de Marseille ?
François Villon est-il passé aux 35 heures ?
On n’a pas retrouvé la pince à épiler les métaphores dans l’appartement d’André Breton.
Madame Misère n’a plus rien à voler dans les rayons de la Fnac. Il n’ya plus rien,
d’ailleurs
moi, je t’écoute encore : oh mon amour mon orpheline et je te dis de vivre et d’avoir
un enfant…
Sous le pont Mirabeau rouillent les voix de Paul Celan et Ghérasim luca.
Aujourd’hui on rit, on pleure, on boit -- sans soif.
Flottent les cheveux de Sulamith dans la soupe d’Ernest Antoine Sellières.
Coca-cola a mis sur le marché sa version light de Garcia Lorca.
Mais que fait Guillaume Apollinaire ?