Célébrer la paix ? (France)
Lorsque le plâtrier épileptique eut enfin succombé sous les gravats qu'il avait lui-même entassés, les manches jetés après la cognée bourgeonnèrent. Les prisonniers pointèrent le nez au soupirail. Dans la cassure des barreaux brisés l’acier retrouva l’innocence de la glace. On vit les balles perdues sourire sur le visage des rescapés, cependant qu'ici ou là, erraient des morceaux d'hommes, à la recherche de leurs membres épars. A la suie des crémations succéda la fumée bleue des calumets. Les douilles d'obus se transformèrent en pots de fleurs. Les gamelles rouillées furent posées sur des étagères. On rangea pieusement les os dans les ossuaires, pour l'édification des générations futures, au moment des anniversaires.
Les âmes sensibles crurent alors avoir gagné. Les lames allaient regagner leurs fourreaux. Les haches seraient à jamais enterrées dans un lieu soigneusement gardé secret. On reléguerait au musée de l'histoire les machines à en découdre. Le fer ne servirait plus qu'à forger des socs. Mais on rendit leurs fusils aux chasseurs et tout fut à recommencer.
Les baroudeurs portèrent à nouveau fièrement leur cartouchière en sautoir comme un collier de dents. Le pays du matin calme devint celui des nuits torrides. Des rizières aux djebels, le napalm entretint de gigantesques barbecues. On retira leur camouflage aux forêts soupçonnées de pactiser avec le diable. Ici, on écorcha. Là, on ébouillanta. Ailleurs, on empala avec des goulots de bouteilles ou des tire-bouchons; on interrogea à la dynamo ; on fusilla; on pendit; on découpa à la machette. Les enfants s'arrachèrent les yeux pour jouer aux billes. Triste bilan au Liban, soupirait-on encore avant-hier! Et cela continue.
Les héros recrus de la guerre du Golfe enfantent des monstres. A Sarajevo, une balle siffle son chien. C'est la mort qu'elle appelle. Les embargos condamnent à périr de faim plus de victimes que les interventions humanitaires jamais n'en sauveront. On porte en soi le meurtre comme un bandeau sur l'âme. On se montre toujours aussi indulgent avec les vainqueurs et les puissants, aussi sévère envers les vaincus et les faibles. A quel escient s'indigne-t-on ? Les maîtres-chanteurs seuls ont droit à la parole.
Il aurait fallu retirer l'ortie de nos coeurs, démolir la muraille qui traverse chacun de nous pour nous séparer des autres, laver nos yeux à la rosée pour dissoudre la taie qui les couvre. Bannir les mots vénéneux qui empoisonnent les palabres. Ne pas rendre aux chasseurs leurs fusils. Je n'ai pas le goût de chanter la paix.