Khal Torabully
Khal Torabully est né le 14 août 1956 à Port-Louis. Il s'installe à Lyon en 1976 où, après une maîtrise en littérature comparée, il entreprend un doctorat en Sémiologie du Poétique à l'Université Lumière. Khal Torabully compte 30 ans d'écriture et plus d'une quinzaine de recueils à son actif. Ses œuvres chantent la face duelle de son île natale, prise entre son enfer colonial et son foisonnement de créativité. Le poète choisit la pluralité pour décliner les possibilités sémantiques. Il teste la langue et les mélanges avec les sons, rythmes et genres pour trouver une parole qui est sienne, celle capable de contenir ses mots et ses imaginaires. Khal Torabully a également réalisé plusieurs documentaires, dont Pic Pic, nomade d'une île et Malcolm, le tailleur de visions, qui conte la vie et l'œuvre de Malcolm de Chazal. Il est un des membres fondateurs du Groupe d'Études et de Recherches sur les Mondialisations [GERM] et, avec Philippe Tancelin et Geneviève Clancy, a posé l'acte fondateur de l'Internationale des Poètes, en 2003, à Paris, avec la publication de La Cendre des mots.
Fausse-île, II. Lyon: Université Lumière (Lyon II), 1986.
Appels d'archipels, ou le livre des miroirs. Port-Louis: Babel, 1987.
Le Printemps des ombres (trilingue : français, anglais, chinois). Sainte-Marie (Réunion): Azalées, 1991.
Cale d'étoiles, Coolitude. Sainte-Marie: Azalées, 1992.
Kot sa parol la ? Rôde parole (bilingue créole/français). Vacoas: Le Printemps, 1995.
Du code au codex. Livre-objet (avec Thierry Lambert). Éditions limitée, 1996.
Palabres à parole. Préface de Werner Lambersy. Solignac: Le bruit des autres, 1997.
Dialogue de l'eau et du sel. Solignac: Le Bruit des Autres, 1998.
L'Ombre rouge des gazelles: signes pour l'Algérie. Grigny: Paroles d'Aube, 1998.
Roulis sur le Malecon: carnet de voyage cubain. Préface de Didier Mauro. Paris: L'Harmattan, 1999.
Chair corail, fragments coolies. Préface de Raphaël Confiant. Petit-Bourg (Guadeloupe): Ibis Rouge, 1999.
Paroles entre une mère et son enfant fusillé. Ancy (France): Éditions du Mont Popey, 2002.
Mes Afriques, mes ivoires. Préface de Tanella Boni. Paris: L'Harmattan, 2004.
Arbres et anabase. Matoury (Guyane): Ibis Rouge, 2005.
Aphorismes : Jour sans fin. Préface de Sarane Alexandrian. (à paraître).
Sang des poèmes noirs. Pour Senghor. (à paraître).
L'Oeuf et la Colombe. (à paraître).
Pic Pic, nomade d'une île. Chamarel Films (île Maurice), 26 minutes, 1996.
La traboule des vagues. Y/N Productions (Lyon). Soutien du Ministère de la Coopération et du Centre National de Cinématographie. Multidiffusion sur Télé Lyon Métropole (télévision câblée), 26 minutes, 1998.
Humeurs de l'Océan Indien (co-réalisateur). Orchidées Productions, 52 minutes, 1999.
Malcolm le tailleur de visions. Co-produit par Chamarel Films et Mona Lisa Productions (Lyon) avec le soutien du Centre National de Cinématographie, France. 52 minutes, monté en 2000. En compétition officielle du Festival International du Film d'Amiens, novembre 2002; Vues d'Afrique, mai 2003.
La Mémoire Maritime des Arabes. Co-produit par Chamarel Films et Productions La Lanterne (Paris) avec le soutien du Sultanat d'Oman. Versions anglaise et arabe (TV Oman). Mention Meilleur documentaire représentatif de la culture de l'Afrique de l'Est. 52 minutes, 2001.
I
Coolitude pour poser la première pierre de ma mémoire de toute mémoire, ma langue de toutes les langues, ma part d'inconnu que de nombreux corps et de nombreuses histoires ont souvent déposée dans mes gènes et mes îles.
À me demander si je fais partie d'une race de malaxeurs d'épices et de parfums, de soies et d'ors, de pigments de peaux et de mots.
Coolitude, mon roulis-coolie, chant d'un enracinement autant que chant d'un déracinement dans une terre faite d'autres poussières, rencontre nécessaire oùl'indien apporte son cuivre millénaire au chant du monde.
Pour dire nos voyages, nos rencontres et nos métissages incessants ; voici mon chant d'exil et de bonheur : avant d'être homme nouveau, je suis homme en devenir.
* * *
II
Coolitude non seulement pour la mémoire... mais aussi pour ces valeurs d'hommes que l'île a échafaudées à la rencontre des fils d'Afrique de l'Inde de Chine et de l'Occident.
Pour moi, la seule patrie rêvée est celle de la grande fraternité... de la réconciliation.
Coolitude : parce que je suis créole de mon cordage, indien de mon mât, européen de la vergue, je suis mauricien de ma quête et français de mon exil. Je ne serai toujours ailleurs qu'en moi-même parce que je ne peux qu'imaginer ma terre natale...
Est-ce pour cela que ma vraie langue maternelle est la poésie ?
III
Moi homme de terre âme agrair
Brahmapoutre Seine ou Congo
la cendre portée par le dernier voilier
ma personne effacée du méridien
pour te déchiffrer nouveau monde
Et je bus aux mêmes sources des prières
quand mes trois mètres de toile se froissèrent
au passage du Cap de Bonne Espérance
Je lavai la dunette briquai au sable
moi l'homme au numéro du faux-pont
je voguai sans penser à demain
Je mourus de dysenterie et de grippes
me tuai
de nostalgie pour les 2 à 3 pourcent de pertes
admises
M'habituai à vaincre les barrières
en battant cartes et tambours
Avec les latitudes je fis annin et matchan
moi l'étranger à la plaque de cuivre
brillant comme le soleil fragmenté.
En mémoire d’Izet Sarajlic
« C'est quand la vie entre dans un poème que la poésie se révèle et devient poésie. Une poésie doit trouver son auteur, pas l'inverse »,
Izet Sarajlic.
Je ne connais pas Sarajevo, j'aurais voulu être des tiens
quand tes bras étaient enfouis sous la neige rouge.
J'ai beau dire que cette ville est une bouteille jetée à la mer,
mais je ne l'ai jamais touchée et je ne peux qu'imaginer ton cimetière.
Là :
Les sépultures sont cachées derrière les murs de plus en plus hauts.
Toutes les rafales sont sourdes au pied du vieux bouleau.
J'imagine quelques photos sous des vitres, une poignée de mots
Que tu écrivis pour les morts de Sarajevo.
La patience et la foi, c'est comme la lune et le soleil Izet,
Ils s'appellent dans la lumière du zénith et rapprochent l'horizon.
Les tunnels n'abolissent pas le labyrinthe de la déraison,
Le sommeil ne chasse pas le rêve en plein jour.
J'aurais aimé vivre d'obscurités, d'opacités,
D'insistantes pensées, d'obsédantes poéticités.
Mais tu avais dit qu'après cette horreur, le poème avait quitté
Sarajevo, et il m'a fallu écrire le vide sans cesse déchiré :
« Message à tous qui croient que la guerre n'aura pas lieu...
Vivre à Sarajevo, aussi pour survivre vieux frère ».
Tu écrivis pour le prochain sniper
Derrière la tombe de l'enfant,
Pour mesurer son front à l'éclat de l'instant.
« Marché noir convoi des Nations unies cigarettes de contrebande »...
« Cité de verre » et vieille ville : Bascarsija.
Quand tu sens le café tes mots pleurent Izet.
« Ordures et décombres », « Mont Igman » :
« Tous mes souvenirs : des livres brûlés ».
Obus pour Bosniaques têtus, ta poésie est fusillée Izet.
J'ai rejeté la bouteille dans la mer des solitudes.
Restent avec le mot, ces livres dans un carton, l'apocalypse
Au quotidien, puisque le monde entier y passe, Izet.
Peux-tu parler d'humanisme en te frappant la poitrine ?
Sur quelles rives la lumière pendue de Sarajevo ?
Il faut peindre la douleur qui nous lamine :
« Hormis la mort,
il n'est rien qui ne me soit déjà advenu ».
Ta voix résonne dans le poème mort.
Mystérieusement forte et douce.
Vukovar, Dubrovnik, Mostar, Sarajevo...
Bagdad, Kaboul, Grozny, Qana...
Faut-il faire la queue sur le champ de guerre pour écrire le poème,
Maintenant que les mots sont rationnés comme l'eau
Cet enfant
pleure
devant le carrousel,
comme l'adulte
qui comprend son bonheur
après l'avoir égaré.
L'exil n'est qu'un mensonge
pour nier le Voyage.
Parcourir la différence
à deux
pour que la lumière
rassure le fruit noir.
Et ne plus
être
possible
en dehors
de l'universelle différence.
____
La brise ne change pas la direction du vent.
L'absence du mot ne rompt pas le serment.
J'ai appris à peser le poids des consciences
Avec une graine de sésame sur mon pain.
Un mur hautain tombe de lui-même.
C'est la poussière qui le brûle à la porte des ruines.
Patiemment, siècle après siècle, j'ai poli les mots.
J'ai changé la douleur dans le visage de l'oiseau.
J'ai compris les mots de Gandhi dans le cœur de la nuit.
Je sais qu'un sage d'Orient veille sur mon œil qui luit.
____
Mère, j'ai lu un livre écrit par un homme
À la plaie béante.
Le premier chapitre débute par une terre fertile.
Il décrit le silence des oasis sous un croissant de lune.
La terre se moque de l'humeur des poètes,
L'histoire n'écrit pas la mort des étoiles.
Je tourne la page à la porte d'une ville fortifiée.
Un étranger sonne à la porte ciselée.
Il se dit persécuté par l'aigle sanguinaire du donjon.
Il ouvre sa main. Il est déjà trop tard pour lire.
Un livre n'attend pas la fin de l'exil.
Un livre n'attend pas le retour des saisons.
Un livre surprend. Il mêle l'agréable et l'utile.
Il est immensité lumineuse dans une sombre pièce.
Au flanc gauche des jardins.
Il ouvre les portes du monde au cœur des couvre-feu.
Il met en déroute les armées en manœuvre.
Aucune loi ne m'empêchera de lire et d'aimer.
Le livre de mémoire ne soigne pas l'homme blessé,
Il met du baume aux cœurs meurtris des fous.