Nicolas Bouvier

Publié le par la freniere

Nicolas Bouvier
Comme un brigand qui vous ravit

"Le chant vert du loriot ne sait rien du silence "
Le dehors et le dedans

"La poésie n'est pas un attelage que l'on mène à sa guise mais plutôt la soudaine, imprévisible éclosion de bulles de champagne. Elle m'est plus nécessaire que la prose parce qu'elle est extrêmement directe, brutale c'est du full contact! "

"Je ne pars jamais des mots pour aller aux choses, toujours l'inverse. Un travail d'établi... trouver le mot qui rende justice à une sensation forte, originelle - donc partageable avec chacun - une sensation dont le cœur bat encore.

"Même dans un poème achevé, il doit rester un petit noyau d'obscurité, deux ou trois mots dont on n'a pas percé le sens, sans quoi il n'y a pas de lecture aveuglante. "

"Il existe des couples de mots comme des particules lourdes, quelque chose qui transcende non pas le quotidien (car il est poétique) mais balaie les catégories qui régissent le quotidien, et sont comme des tiroirs où fourrer ce qu'on gère mal, sûr que ça ne bougera plus, sûr que les fantômes ne ressortiront plus la nuit... "

"La poésie fait irruption, c'est un mauvais rôdeur, un cambrioleur. Si vous recevez le monde de plein fouet, ça dérange et en même temps ça ravit. Ça a l'air contradictoire, mais pas du tout: il y a le choc et il y a le ravissement (au sens étymologique). On est enlevé comme des voyageurs par les brigands".

"Incitation à la brièveté: dire bonjour, lancer un gros caillou et se barrer. C'est ce que la vie vous fait sans cesse - à chacun d'en tirer une leçon, si jamais il y en a une."

"Une autre fonction de la poésie, c'est la conjuration, l'exorcisme. On l'utilise pour tâcher de faire face, de tenir à distance une menace, comme des mantras indiennes. "

"En compagnie, se lever tout à coup, et dire, simplement dire, un poème - comme une poire mûre qui tombe. C'est ainsi que la poésie doit être utilisée, sans prétention littéraire ni salonnarde. Un usage encore fréquent dans les pays de poésie; au Japon, si vous commencez à réciter un haïku, il y a de bonnes chances que les paysans sachent la deuxième et la troisième ligne. Et en Iran, les poèmes soufiques que les paysans illettrés connaissent, voilà qui remet l'église au milieu du village."

"Les grands musiciens allemands ont posé leur musique sur des poèmes sortis des auberges. Les "Lieder eines fahrenden Gesellen" sont des chants de compagnons qui se retrouvaient à la pinte. Pas de la culture professorale: c'était de souche, et partageable. "

"Je préfère la poésie qu'on peut chanter. Il y a des couples admirables, Ferré/Aragon, c'est sublime. En France, la poésie s'est réfugiée là, loin de cette poésie exsangue, un peu blanche, des écoles littéraires. Brassens, Barbara, les Frères Jacques, ces chansons sont de purs chefs-d'œuvre. "Général à vendre", je peux vous le réciter, et ça peut se chanter aussi! Pas les vers de Lamartine. Liée au chant,à la scansion, la poésie n'est pas prisonnière du signe écrit. "

"Le poète iranien Hafiz - ou est-ce Nizami? - résume tout en une phrase: "Si le sage ignore encore les secrets de ce monde, je me demande de qui le cabaretier peut les avoir appris."

Propos recueillis par Jacques Poget

Extrait de Dossier Poésie tiré de l'Hebdo. (Numéro 52)

Bibliographie

L’usage du monde, Paris, Payot, (1963) 1995
Traduction allemande par Trude Fein, Die Erfahrung der Welt, (Benziger, 1980) Lenos-Verlag, 2004
 
Japon, (éd. Rencontre, 1967) Hoëbeke, 2002
 
Chronique japonaise, Paris, Petite bibliothèque Payot, (1975) 1993
Traduction allemande : Japanische Chronik, aus dem Franz. von Giò Waeckerlin Induni, Lenos-Verlag, 2003
 
Vingt-cinq ans ensemble. Histoire de la télévision suisse romande, Lausanne, Ed. SSR, 1979
 
Le Poisson-scorpion, (Folio Gallimard, 1981) Lusabats, 2005
Traduction italienne par Beppe Sebaste, Il pesce-scorpione, Lugano, G. Casagrande, 1991;
Traduction allemande par Barbara Erni, Der Skorpionsfisch, Zürich, Ammann, 1989
 
Le Dehors et le dedans, poèmes, Genève, Zoé, (1982) 1998 (4ème édition revue et augmentée de 6 nouveaux poèmes)
 
Les Boissonnas, une dynastie de photographes, Lausanne, Payot, 1983
 
Journal d’Aran et d’autres lieux. Feuilles de route, Paris, Payot et Rivages, (1990) 1995
 
L’Art populaire en Suisse, Disentis, Desertina Verlag, 1991 ;
Traduction allemande par Barbara Erni, Volkkunst, Disentis, Desertina Verlag, 1991
 
Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, Genève, Métropolis, 1992
 
Le Hibou et la baleine, Genève, Zoé, (1993) 2003
 
Les chemins du Halla-San, Genève, Zoé (MiniZoé), 1994
 
L’échappée belle : éloge de quelques pérégrins, Genève, Metropolis, 1996
 
Comment va l’écriture ce matin ?, Genève, Slatkine, 1996
 
COLLECTIF : La langue et le politique : enquête auprès de quelques écrivains suisses de langue française, éd., conc. et préf. par Patrick Amstutz, postf. de Daniel Maggetti, Editions de L'Aire, Vevey, 2001. p.90-93.
 
Histoires d'une image, Editions Zoé, 2001
 
L'oeil du voyageur, introd. de Daniel Girardin, Hoëbeke, 2002
 
Oeuvres, publ. sous la dir. d'Éliane Bouvier avec la collab. de Pierre Starobinski ; préf. de Christine Jordis, Gallimard, 2004
 
Le vide et le plein : carnets du Japon 1964-1970, Hoëbeke, 2004
Traduction allemande : Das Leere und das Volle : Reisetagebuch aus Japan, 1964-1970, aus dem Franz. von Giò Waeckerlin Induni, Lenos-Verlag, 2005

 

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