Ballade pour une prisonnière (Italie)
C’était dangereux
de lui laisser les mains libres
sans fers autour des poignets
quand elle revit l’espace, les arbres, les rues,
au cimetière
où l’on portait son père.
Dix années déjà purgées,
mais compter ne sert à rien,
la perpétuité n’expire pas,
plus tu vis plus tu y restes.
C’était dangereux
de lui permettre les étreintes,
et suivant le règlement
tout contact est exclus.
C’était dangereux
le deuil des parents,
devant le père mort
ils pouvaient essayer
qui sait de libérer
la fille raidie
uniquement pour compenser
la mort par la vie.
Spectacle raté
la guerrière en sanglots,
mais qui est attaché par les poignets
ne peut libérer ses yeux.
Pour se montrer, larmes et sourires,
doivent avoir un peu d’intimité
parce qu’ils sont sauvages, ils ne savent
pas naître à l’état de captivité.
«On n’a jamais été ensemble, hein, papa ?
d’abord la lutte, les années clandestines,
pas même un coup de fil pour Noel,
puis la prison spéciale, ton visage
revu derrière la vitre mitoyenne,
intimidé au début, puis crâneur
et avec un haussement d’épaules
tu disais : « murs, vitres, barreaux, gardiens,
ne suffisent pas à nous détacher,
moi je suis de ton côté
même sans te toucher,
mieux, regarde ce que je fais,
je mets les mains dans mes poches.»
Prends patience papa, cette fois encore
je ne peux te caresser
entre mes gardiens et mes fers.
Merci pourtant de m’avoir fait sortir
ce matin, merci d’une poignée d’heures
de peine à purger à l’air libre…»
À présent, tu peux la rencontrer
le soir quand elle rentre
rue Bartolo Longo,
prison de Rebibbia,
domicile des vaincus
d’une guerre finie,
résidence perpétuelle
des défaits à vie.
Elle traverse la rue, ne se retourne pas,
compagne Lune, vieille prisonnière
qui se rend aux barreaux du soir.