Paul Chamberland

Publié le par la freniere

Poète et essayiste, Paul Chamberland obtient son baccalauréat ès arts au Collège Saint-Laurent en 1961 et sa licence en philosophie à l'Université de Montréal en 1964, avant de poursuivre des études en sociologie littéraire à la Sorbonne. Il revient de ce séjour d'études à Paris profondément marqué par les « Événements de mai 68 ». De 1968 à 1972, Paul Chamberland s'implique activement dans la période effervescente de ce que l'on peut appeler, par convention dit-il, la « nouvelle culture »; la Nuit de la poésie de 1970, à laquelle il participe, en est un moment majeur. Cette même période est consacrée à ses activités d'écrivain et d'animateur au sein de l'équipe d'In-Média puis de la Fabrike d'ékriture. De 1973 à 1978, il fait l'expérience intensive de la vie en communauté et du réseau alternatif. Il collabore principalement aux revues Mainmise et Hobo-Québec, mais aussi aux revues Liberté, La Barre du jour, Estuaire, Possibles, Forces; il a également participé au Solstice de la poésie québécoise en 1976, ainsi qu'à la Rencontre internationale des écrivains de la francophonie à Épernay (France) en 1975. En 1978, il séjourne en Hongrie où il est l'invité de l'Institut culturel. En 1980, il participe aux festivals de La Rochelle et d'Avignon, dans le cadre des « Sept paroles du Québec ». Il se déplace également en Italie, à Bologne et à Turin, où il donne un cours sur la poésie québécoise. Depuis 1985, Paul Chamberland est professeur au département d'études littéraires de l'Université du Québec à Montréal.

Paul Chamberland a remporté le Prix de la province de Québec en 1964, au moment où toute son activité culturelle et politique se concentrait sur la revue Parti pris dont il a été l'un des fondateurs en 1963. En 1991, il a reçu le Prix Édouard J. Maunick pour l'ensemble de son œuvre et, en 1999, le Prix de poésie Terrasses Saint-Sulpice de la revue Estuaire pour Intime faiblesse des mortels. En 2005, il a obtenu le Prix Victor-Barbeau pour Une politique de la douleur : pour résister à notre investissement. Il est membre de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois depuis 1977.

Bibliographie sélective:

Terre Québec (poèmes) Librairie Déom, Montréal, 1964

Demain les dieux naîtront (textes et poèmes) L'Hexagone, Montréal, 1974

Extrême survivance, extrême poésie (textes et poèmes) Parti Pris, Montréal, 1978

Aux compagnons chercheurs (poèmes) Le Préambule, Longueil, 1984

Un livre de moral (essai) L'Hexagone, 1989

Le multiple évènement terrestre (essai) L'Hexagone, 1990

Dans la proximité des choses (poèmes) L'Hexagone, 1996

Le froid coupant du dehors (essai) L'Hexagone, 1997

Intime faiblesse des mortels (poèmes) Noroît, Saint-Hippolyte, 1999

 

LE DERNIER POÈME

1

Quand les mots ne voudront plus rien dire,

qu'ils ne seront plus qu'une monnaie trafiquée entre des sourds;

quand les mots rendront tout de travers ce que brûle de dire

la proie écorchée, ou le bouffon souverain, que chacun est parfois pour lui seul;

 

quand il sera d'usage courant d'enrober d'un baratin expert

la déraison

et de donner la tournure du sourire au meurtre;

quand personne n'entendra plus dans les mots je t'aime que

le bafouillage d'un demeuré,

- alors on écrira le dernier poème.

 

2

Quoi que nous fassions, croyons-nous, ça n'empêchera pas le monde de tourner,

comme s'il était réglé sur le pilote automatique.

Quand la nuit cannibale aura englouti des millions d'hommes jetables,

- alors on écrira le dernier poème.

 

Comprenez bien que cette nuit, c'est du ferment obscur de nos pulsions

qu'elle tire sa voracité;

non, ce n'est pas ailleurs que dans les troubles rêveries du premier venu

que se fomente l'Horreur

- et quand il est trop tard, quand l'Horreur échappe à tout contrôle

comme nous aimerions croire alors que ce visage tourné vers nous

n'est pas humain.

 

3

Quand les riches produits de décomposition dégagés - par nous - du cadavre de la matière

auront à ce point empuanti l'air que nous respirons

qu'on ne survivra plus que dans des bunkers climatisés;

 

quand Tristan et Iseult, Héloise et Abélard, Roméo et Juliette

ne seront plus que des pantins manipulés par un autiste sexuel;

 

quand chacun rampera à tâtons dans ce réduit glacial

que sera devenu son propre coeur,

- alors on écrira le dernier poème.

 

4

Quand nous nous regarderons tous avec des yeux absents...
Ce regard de passant pressé qui congédie l'autre allègrement
sait-il qu'il signifie sa propre absence à soi ?
Comment dire ce tassement obtus de l'être qui défie toute expression
parce qu'il tait,
rature jusqu'au Je qui le dirait ?
Ça saute pourtant aux yeux, ce mutuel refus
répercuté à l'infini dans les endroits publics;
ce regard de biais qui pornographie tout ce qu'il touche,
et l'on ne sait jamais ni où ni quand l'on devra faire face
au coupant éclat d'un oeil
dégainé qui remâche le goût du meurtre.

Comment parvenir à nous dire - est-ce qu'il en est encore temps ? - que cette grisaille
envahissant de partout ce que nous tenons pour le réel
n'est pas un inconvénient qu'on fuirait en se blotissant dans son cocon
mais la lente, insensible et muette avancée d'une universelle glaciation ?
Quand, d'un Dehors changé en terrain vague,
en no man's land, en astre mort
parce que personne n'y rencontre plus personne,
se dressera pour régner sur nous tous le parfait visage de l'inhumain
- et nous n'y reconnaîtrons même plus notre propre visage anéanti ;
quand le dernier mot que nous opposons au néant,
ce mot qui commence toutes les phrases, Je,
nous restera en travers la gorge,
- et quelqu'un
alors
écrira le dernier poème sur Terre.

Publié dans Les marcheurs de rêve

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article