Incultes et satisfaits ?
Il existe un dossier au ministère de l'Éducation qui se nomme «Dossier sur l'actualisation des devis de formation générale». Les professeurs de littérature des cégeps ont reçu, à ce sujet, un sondage en 11 questions. Nous mettrons de côté les neuf premières qui, somme toute, concernent «la cuisine interne» des cours obligatoires de littérature, et qui n'ont ici aucun intérêt autre que celui des aménagements internes des différents cégeps du Québec.
Nous voudrions commenter les deux dernières questions (numéros 10 et 11), que nous pourrions qualifier, si nous étions méchants mais nous ne le sommes jamais, d'insidieuses, voire subliminales. On peut y soupçonner, en effet, une invitation à peine déguisée à réduire les cours de littérature française au profit de ceux de littérature québécoise.
La question numéro 10 est formulée ainsi: «Désirez-vous que la littérature québécoise occupe une place plus grande et dans quelle mesure?»
Voilà qui ouvre tout naturellement la porte à un choix, impossible au demeurant, puisque la place accordée à la littérature française dans l'enseignement collégial est aujourd'hui, pratiquement, extrêmement réduite - un semestre d'études et demi: (cours 101 et une partie du cours 102 intitulé «Littérature francophone», partie qui dépend du choix de chaque professeur) - du Moyen Âge au XIXe, soit environ 10 siècles, en quatre plus deux mois, soit six mois d'études (!) C'est actuellement le cas dans les «devis de formation générale» des cégeps du Québec On peut se demander si cela est raisonnable, mais c'est le cas actuellement. Donner une place plus grande à la littérature québécoise, deux siècles environ, équivaudrait forcément à réduire encore la place accordée à l'histoire littéraire, aux auteurs et aux textes de littérature française... Cela peut s'appeler «tirer sur une ambulance» ou encore achever une moribonde. C'est en tous cas ce que suggère très franchement la question numéro 11:
11: «Une hypothèse émise l'an dernier par l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) et par l'UNEQ (Union nationale des écrivains québécois) était d'exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial en créant trois cours de littérature québécoise. Que pensez-vous de cette hypothèse?»
Boufre! Comme dirait Rabelais, notre ancêtre à tous.
L'on peut se demander - nous n'y manquons pas - comment une association d'éditeurs de livres, qui n'éditent que de la littérature québécoise et canadienne, peut suggérer que les étudiants des deux niveaux pré-universitaire et technique soient privés d'étudier la littérature française, au bénéfice seul de la littérature du Québec? On semble oublier toute référence historique et linguistique aux grands ancêtres inventeurs et créateurs de la langue française.
Morts de rire voire d'indignation
Imaginons un instant que les éditeurs australiens interdisent aux petits et grands étudiants australiens l'étude de Shakespeare, Milton, et de l'immense foule des auteurs anglais au prétexte qu'ils ne sont pas des auteurs australiens. Il en va de même pour les éditeurs d'Afrique du Sud, de l'Inde, ou encore de tous les éditeurs latino-américains demandant à cor et à cri que l'on n'étudie pas dans les collèges Cervantes, Lope de Vega et toute la littérature de langue espagnole. Nous sommes morts de rire, voire d'indignation.
Risqueraient grandement d'être inconnus donc, chez nous, les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance, Villon, Ronsard, Labé, Marot, Du Bellay. Inconnus les écrivains du XVIIe, Racine, Corneille, Molière et ceux des Lumières, et du Romanisme, qui furent et restent l'histoire et l'inspiration des auteurs québécois.
Rappelons que l'UNEQ fut inventée et créée démocratiquement au cours d'une des Rencontres québécoises et internationales de écrivains (RQIE) organisée par la revue Liberté dirigée par Jean-Guy Pilon. C'est Jacques Godbout qui mena ce projet à terme. L'on peut aussi se demander - nous cédons à l'étonnement - comment l'UNEQ, composée d'auteurs québécois écrivant tout naturellement des livres québécois, puisse pratiquer elle aussi la discrimination par l'oubli volontaire de l'histoire, des auteurs et des livres français dans l'éducation de leurs descendants et successeurs éventuels?
Les membres écrivains de l'UNEQ sont-ils d'accord (les a-t-on seulement consultés?) pour entériner cette suggestion de leur Conseil d'administration, élu démocratiquement? La question se pose, d'une attitude démagogique, inculte et satisfaite (?) qui pourrait priver les étudiants, à partir du secondaire, de toute étude et connaissance de la littérature française? Comment l'UNEQ peut-elle suggérer une telle chose, semblant oublier que l'essentiel de la littérature québécoise n'existe pas sans l'héritage historique et linguistique de «grand ancêtre» qu'est la littérature française?
Pour les étudiants qui s'arrêtent au cégep comme pour ceux qui se dirigent vers l'université, ils ignoreraient à peu près tout de ce qui a précédé la littérature de leur pays. Incultes et satisfaits (?), dans les deux cas.
Nous espérons que ce dossier sur «l'actualisation des devis de formation générale» prendra une tout autre direction que celle que l'on peut soupçonner à la lecture de ces deux questions et suggestions.
Jacques Folch-Ribas La Presse