Incultes et satisfaits ?

Publié le par la freniere

Il existe un dossier au ministère de l'Éducation qui se nomme «Dossier sur l'actualisation des devis de formation générale». Les professeurs de littérature des cégeps ont reçu, à ce sujet, un sondage en 11 questions. Nous mettrons de côté les neuf premières qui, somme toute, concernent «la cuisine interne» des cours obligatoires de littérature, et qui n'ont ici aucun intérêt autre que celui des aménagements internes des différents cégeps du Québec.

Nous voudrions commenter les deux dernières questions (numéros 10 et 11), que nous pourrions qualifier, si nous étions méchants mais nous ne le sommes jamais, d'insidieuses, voire subliminales. On peut y soupçonner, en effet, une invitation à peine déguisée à réduire les cours de littérature française au profit de ceux de littérature québécoise.

La question numéro 10 est formulée ainsi: «Désirez-vous que la littérature québécoise occupe une place plus grande et dans quelle mesure?»

Voilà qui ouvre tout naturellement la porte à un choix, impossible au demeurant, puisque la place accordée à la littérature française dans l'enseignement collégial est aujourd'hui, pratiquement, extrêmement réduite - un semestre d'études et demi: (cours 101 et une partie du cours 102 intitulé «Littérature francophone», partie qui dépend du choix de chaque professeur) - du Moyen Âge au XIXe, soit environ 10 siècles, en quatre plus deux mois, soit six mois d'études (!) C'est actuellement le cas dans les «devis de formation générale» des cégeps du Québec On peut se demander si cela est raisonnable, mais c'est le cas actuellement. Donner une place plus grande à la littérature québécoise, deux siècles environ, équivaudrait forcément à réduire encore la place accordée à l'histoire littéraire, aux auteurs et aux textes de littérature française... Cela peut s'appeler «tirer sur une ambulance» ou encore achever une moribonde. C'est en tous cas ce que suggère très franchement la question numéro 11:

11: «Une hypothèse émise l'an dernier par l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) et par l'UNEQ (Union nationale des écrivains québécois) était d'exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial en créant trois cours de littérature québécoise. Que pensez-vous de cette hypothèse?»

Boufre! Comme dirait Rabelais, notre ancêtre à tous.

L'on peut se demander - nous n'y manquons pas - comment une association d'éditeurs de livres, qui n'éditent que de la littérature québécoise et canadienne, peut suggérer que les étudiants des deux niveaux pré-universitaire et technique soient privés d'étudier la littérature française, au bénéfice seul de la littérature du Québec? On semble oublier toute référence historique et linguistique aux grands ancêtres inventeurs et créateurs de la langue française.

 

Morts de rire voire d'indignation

 

Imaginons un instant que les éditeurs australiens interdisent aux petits et grands étudiants australiens l'étude de Shakespeare, Milton, et de l'immense foule des auteurs anglais au prétexte qu'ils ne sont pas des auteurs australiens. Il en va de même pour les éditeurs d'Afrique du Sud, de l'Inde, ou encore de tous les éditeurs latino-américains demandant à cor et à cri que l'on n'étudie pas dans les collèges Cervantes, Lope de Vega et toute la littérature de langue espagnole. Nous sommes morts de rire, voire d'indignation.

Risqueraient grandement d'être inconnus donc, chez nous, les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance, Villon, Ronsard, Labé, Marot, Du Bellay. Inconnus les écrivains du XVIIe, Racine, Corneille, Molière et ceux des Lumières, et du Romanisme, qui furent et restent l'histoire et l'inspiration des auteurs québécois.

Rappelons que l'UNEQ fut inventée et créée démocratiquement au cours d'une des Rencontres québécoises et internationales de écrivains (RQIE) organisée par la revue Liberté dirigée par Jean-Guy Pilon. C'est Jacques Godbout qui mena ce projet à terme. L'on peut aussi se demander - nous cédons à l'étonnement - comment l'UNEQ, composée d'auteurs québécois écrivant tout naturellement des livres québécois, puisse pratiquer elle aussi la discrimination par l'oubli volontaire de l'histoire, des auteurs et des livres français dans l'éducation de leurs descendants et successeurs éventuels?

Les membres écrivains de l'UNEQ sont-ils d'accord (les a-t-on seulement consultés?) pour entériner cette suggestion de leur Conseil d'administration, élu démocratiquement? La question se pose, d'une attitude démagogique, inculte et satisfaite (?) qui pourrait priver les étudiants, à partir du secondaire, de toute étude et connaissance de la littérature française? Comment l'UNEQ peut-elle suggérer une telle chose, semblant oublier que l'essentiel de la littérature québécoise n'existe pas sans l'héritage historique et linguistique de «grand ancêtre» qu'est la littérature française?

Pour les étudiants qui s'arrêtent au cégep comme pour ceux qui se dirigent vers l'université, ils ignoreraient à peu près tout de ce qui a précédé la littérature de leur pays. Incultes et satisfaits (?), dans les deux cas.

Nous espérons que ce dossier sur «l'actualisation des devis de formation générale» prendra une tout autre direction que celle que l'on peut soupçonner à la lecture de ces deux questions et suggestions.

Jacques Folch-Ribas     La Presse

Publié dans Glanures

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Littérature, prise 2 J'ai reçu un très gros courrier - un courrier marqué par l'attachement passionné de nombre de Québécois à la littérature française - à la suite de ma chronique du 5 février, dans laquelle je dénonçais ce qui semblait être, au dire de Jacques Folch-Ribas, lui-même professeur de cégep, un projet du ministère de l'Éducation pour diminuer, dans les programmes du collégial, la place de la littérature française au profit de la littérature québécoise. En fait, c'est d'un comité d'enseignants (le Comité des enseignants de français du collégial, ou CEEF) et non pas du Ministère, que provenait le sondage distribué dans les cégeps - sondage qui portait, notamment, sur la possibilité de réduire considérablement l'enseignement de la littérature française au collégial. Même si l'initiative ne venait pas du Ministère, la menace était toutefois bien réelle. Le projet était porté par l'Association nationale des éditeurs de livres et par l'Union nationale des écrivains du Québec, et le Ministère y était tout à fait favorable. Reprenons l'histoire par le début. Le 14 mars 2007, lors d'un atelier sur l'enseignement de la littérature au collégial, des représentants de l'ANEL, dont André Vanasse, soumettaient un plan d'action visant à réviser les programmes pour faire de la littérature québécoise l'axe central de l'enseignement collégial, «le pilier autour duquel les programmes devraient s'articuler», et à partir duquel on aborderait «les autres littératures, francophones et étrangères». La littérature française deviendrait en somme une matière accessoire. Toujours selon le procès-verbal de la réunion, le représentant de la Direction de l'enseignement collégial au Ministère, André Laferrière, précisait que depuis 1997, les programmes ne parlent que de «littérature francophone», le Ministère ayant «fait disparaître les références directes à la littérature française pour permettre des approches nouvelles». Les blocs de cours qui portent, dans la plupart des cégeps, sur la littérature française, ne tiennent, dit-il, qu'à une «tradition». Les programmes actuels sont assez flexibles pour permettre de «privilégier» l'enseignement de la littérature québécoise au sein des cours actuellement consacrés à la littérature française. Par la suite, l'UNEQ faisait parvenir aux professeurs de français une lettre leur recommandant d'inclure des oeuvres québécoises dans les cours actuellement réservés, dans la plupart des cégeps, à la littérature française. (Précisons que les départements de français jouissent d'une assez grande latitude pour décider de la matière à enseigner.) Aujourd'hui, l'ANEL et l'UNEQ se défendent d'avoir proposé l'«exclusion» de la littérature française. Certes, ce mot n'a jamais été utilisé officiellement. On y est allé «par la bande», en militant en coulisses en faveur d'un recentrage radical des programmes autour de la littérature québécoise. Ne jouons pas sur les mots: si la littérature française devient une sorte de satellite par rapport au «pilier» que serait la littérature québécoise, perdant la place distincte qu'elle occupe aujourd'hui, on n'est pas loin de l'exclusion. C'est d'ailleurs l'interprétation qu'a faite Marie Gagné, la présidente du CEEF, qui a suivi de très près ces débats qui ont suscité d'âpres polarisations dans le milieu. Son sondage mentionnait en toutes lettres que tant l'UNEQ que l'ANEL réclamaient l'exclusion de la littérature française au collégial. À preuve, cette question: «Une hypothèse émise l'an dernier par l'ANEL et l'UNEQ était d'exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial. Qu'en pensez-vous?» Mme Gagné dit que son comité, outré de voir des organisations extérieures s'ingérer dans les affaires collégiales, a pris l'initiative de ce sondage interne parce qu'il «avait peur de se faire accuser d'avoir empêché le débat». On voulait «vider la question», et «vérifier la pertinence de certaines avenues». Or, nous dit Mme Gagné, «ces avenues (celles proposées par l'UNEQ et l'ANEL) ne sont pas celles que veulent les enseignants». En somme, la plupart des enseignants consultés auraient rejeté la proposition de l'ANEL. Voilà qui est rassurant. Mais ces événements illustrent la force des pressions qui s'exercent, sous l'oeil complice du ministère, pour réduire la littérature française à un statut de littérature étrangère. Lysiane Gagnon           La Presse
J
Débat au-dessus de l’Atlantique C'est un vrai ballon d'essai qu'a lancé l'écrivain et professeur de littérature Jacques Folch-Ribas, dans un billet publié par le quotidien La Presse, le 20 janvier dernier. Essai qui est en train de se transformer, grâce à Internet, en une levée de boucliers. La question de un million de dollars Dans ce billet intitulé Inquiets et satisfaits (?), Jacques Folch-Ribas dénonçait un sondage mené par le ministère de l'Éducation auprès des professeurs de littérature des collèges. Deux questions, en particulier, soulevaient l'ire de l'écrivain. Les deux dernières. La première prêchait pour la vertu, pourrions-nous dire: « Désirez-vous que la littérature québécoise occupe une place plus grande et dans quelle mesure? ». La seconde était plus insidieuse. Une hypothèse émise l'an dernier par l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) et par l'UNEQ (Union nationale des écrivains québécois) était d'exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial en créant trois cours de littérature québécoise. Que pensez-vous de cette hypothèse? — Question numéro 11 du questionnaire du ministère de l'Éducation Jacques Folch-Ribas ne cache pas son indignation. Échos d'indignation sur Internet   Son message a été entendu (ou lu) par l'écrivain et journaliste français Pierre Assouline qui, dimanche, s'indignait à son tour sur son blogue, La République des livres. Sous le titre Tabarnak! et la littérature française? l'écrivain se demande si le gouvernement québécois est sérieux. Non seulement rappelle-t-il les deux questions posées par Québec aux professeurs de littérature, mais il résume aussi la pensée du président éditeur de la Fondation littéraire Fleur de Lys, Serge-André Guay, et celle de la chroniqueuse Lysiane Gagnon, pour qui toute cette affaire est une question d'argent. Parle, parle, jase, jase L'indignation de l'intellectuel français répondant, sur Internet, à celle de l'intellectuel québécois a soulevé une véritable discussion. Depuis deux jours, plus de 220 messages ont été publiés sur son blogue. On assiste à une discussion virtuelle, argumentée et passionnante souligne l'internaute fred, sur la place que la littérature occupe dans la vie tant des Français que des Québécois. Le Québécois Durell N. Moriarty, dans un premier temps, donne raison à ceux qui s'indignent de cette tentative de protectionnisme commercial. Dans un second temps, il montre les professeurs du doigt: « Si je puise dans les méandres de mes souvenirs estudiantins, me reviennent les livres étudiés et très souvent, l'auteur n'était nul autre que le prof lui-même ». Inukshuk y voit « une autre dérive (parmi tant d'autres) du triste ministère de l'Éducation, cette fois-ci en complicité avec l'édition locale ». Mauvaise Langue s'étonne qu'on consacre seulement six mois, dans le cursus collégial, à la littérature française, qui va des Serments de Strasbourg publiés en 832 jusqu'à nos jours. Il y en a qui s'insurgent, comme Zorg: « Québec privé d'Angot, de Werber, de Yann Moix et de Marc Levy. Câlisse, quel affront! » Le Français Ramiel, lui, prend la défense des écrivains québécois. Cet internaute affirme même avoir lu La légende d'un peuple de Louis Fréchette. Et il conclut, dans la veine de l'argumentation d'Assouline: « Et même Fréchette ne se comprend bien que si on a lu aussi Hugo ». Car là est le coeur de l'argumentation non seulement de Folch-Ribas mais aussi d'Assouline: la littérature du Québec ne se comprend qu'en continuité de la littérature française. Mais il souligne que « le Québec est un pays indépendant de la France, et que les Français ne se rendent pas compte à quel point les Québécois... détestent se voir traités par les Français comme une partie détachée de la France. Indirectement, cet appel à l'honneur de la littérature québécoise traduit cet état d'esprit trop mal connu en France. » Glissement progressif du plaisir Lentement, mais sûrement, la discussion glisse du plaisir littéraire sur le terrain politique. L'indépendantriste accuse le Québec d'être « malade depuis quelques années. On voit hélas se développer un mouvement indépendantiste ET anti-français... C'est triste. » Ce qui entraîne laloux, un autre Québécois, sur le terrain politique: « Le mouvement indépendantiste est en train d'agoniser faute de chef charismatique. » L'internaute dénonce aussi le grotesque de la proposition, qui ne l'étonne pas « dans ce pays où tout ce qui vient de la France est passé à la moulinette des méfiances. » Plus loin, il conclut: « On reste petit, maîtres chez nous, on n'a pas besoin de personne. C'est ce que ce genre d'idées suggère. Magnifique programme. » Célébration de la littérature québécoise Cette discussion devient l'occasion pour certains d'aller à la découverte de la littérature québécoise. Ainsi furgole remercie lorène pour les suggestions de livres qu'elle fait dans un message. Et chacun d'exprimer ses préférences en matière de littérature québécoise. À lorène qui porte les Chroniques du Plateau Mont-Royal aux nues, Inukshuk répond: « ...je n'ai pas éprouvé de plaisir à lire la chronique misérabiliste d'un quartier de Montréal. » Il lui oppose plutôt L'hiver de force, de Réjean Ducharme. Le ballon d'essai lancé par Jacques Folch-Ribas, et repris par Pierre Assouline, aura eu l'effet de montrer que l'intérêt pour la littérature française et la littérature québécoise, de part et d'autre de l'Atlantique, est fort. Mais c'est lorène, une Française, qui semble résumer l'essentiel de la discussion: « Plus le champ des études est étroit, et plus étroit sera l'esprit des élèves (étudiants) une fois venu l'âge adulte. » Richard Raymond    Radio-Canada
J
Tabarnak ! et la littérature française Les autorités québécoises ont-elles sérieusement l’intention de bannir toute littérature française au profit exclusif de leur littérature nationale dans les programmes d’enseignement du secondaire ? Déjà qu’elle a la portion congrue ! six mois de cours à peine pour faire passer une histoire qui court sur dix siècles alors que la littérature québecoise n’existe que depuis le milieu du XIXème siècle… On se frotte les yeux, et j’espère que l’on nous épargnera le procès éculé de chauvinisme littéraire et de nationalisme culturel. Il ne s’agit vraiment pas de ça. Pourtant, la polémique est bel et bien engagée. L’écrivain, professeur et critique Jacques Folch-Ribas a mis le feu aux poudres dans La Presse en révélant le contenu d’un récent sondage adressé par le ministère de l’Education aux enseignants. Un questionnaire en onze questions dont les deux dernières laissent perplexes : No 10 “Désirez-vous que la littérature québécoise occupe une place plus grande, et dans quelle mesure?» et No 11 : “Une hypothèse émise l’an dernier par l’Association nationale des éditeurs de livres et l’Union nationale des écrivains québécois était d’exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial Qu’en pensez-vous?»    Poser la question, c’est déjà y répondre tant la formulation est biaisée. Pour les détracteurs de ce sondage, il ressemble fort à un ballon d’essai et à un signe annonciateur de ce qui adviendra si le projet ne suscitait pas une levée de boucliers. Faut-il rappeler que la littérature française fut celle des ancêtres des québecois et qu’elle le demeure à ce jour par leur langue commune ? Couper lycéens et étudiants de ces racines là, c’est aussi les couper d’une partie de leur histoire. Pour Serge-André Guay, de la Fondation littéraire Fleur de Lys, ce n’est qu’une affaire d’argent, l’affairisme du gouvernement québecois “toutes corporations confondues” consistant en l’occurrence à faire acheter aux étudiants des livres d’auteurs québecois.    Dans La Presse, Lysiane Gagnon ne dit pas autre chose :”On comprend que les éditeurs et les écrivains veuillent vendre leurs livres, mais que le Ministère se fasse complice de ce corporatisme primaire est un véritable scandale.” Jacques Folch-Ribas, qui hésite entre mourir de rire ou d’indignation, le rappelle utilement, encore que la nécessité de ce rappel soit déjà en soi accablante :  “Imaginons un instant que les éditeurs australiens interdisent aux petits et grands étudiants australiens l’étude de Shakespeare, Milton, et de l’immense foule des auteurs anglais au prétexte qu’ils ne sont pas des auteurs australiens. Il en va de même pour les éditeurs d’Afrique du Sud, de l’Inde, ou encore de tous les éditeurs latino-américains demandant à cor et à cri que l’on n’étudie pas dans les collèges Cervantes, Lope de Vega et toute la littérature de langue espagnole. Nous sommes morts de rire, voire d’indignation”    A suivre. Pierre Assouline     La République des livres
J
Tout est affaire de commerce pour le gouvernement, l'UNEQ et l'ANEL     Monsieur Folch-Ribas, Collaborateur à La Presse, professeur de littérature au cégep, membre de l'Académie des lettres du Québec et membre de l'UNEQ depuis sa fondation.   Dans votre lettre d'opinion publiée dans La presse du dimanche 20 janvier 2008, vous vous demandez «comment une association d'éditeurs de livres, qui n'éditent que de la littérature québécoise et canadienne, peut suggérer que les étudiants des deux niveaux pré-universitaire et technique soient privés d'étudier la littérature française, au bénéfice seul de la littérature du Québec?» et «comment l'UNEQ, composée d'auteurs québécois écrivant tout naturellement des livres québécois, peut pratiquer elle aussi la discrimination par l'oubli volontaire de l'histoire, des auteurs et des livres français dans l'éducation de leurs descendants et successeurs éventuels?». La réponse à ces deux questions est fort simple: tout est affaire de commerce pour le gouvernement, l'UNEQ et l'ANEL. Ces intervenants de la chaîne du livre souhaitent que tous les livres de tous les programmes d'enseignement de la littérature soient québécois pour en forcer l'achat. Rien de plus, rien de moins.   Il y a déjà plusieurs années que l'industrie québécoise du livre a pris le pas sur la littérature avec la bénédiction du gouvernement du Québec. Pis encore, il y a même confusion entre l'histoire de l'industrie québécoise du livre et l'histoire de la littérature québécoise.   À preuve, sur le site Internet du ministère de la culture, section «Livre et lecture - Panorama du secteur», on ne parle que de Politique de la lecture et du livre adoptée en 1998, de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre adoptée en 1981 et, bien entendu, de l'industrie du livre. On peut lire: «L'édition de livres est la plus ancienne des industries culturelles québécoises. Apparue au cours des années 1960 à la faveur des réformes qui ont marqué l'éducation et la culture, elle ne se développe véritablement qu'à partir des années 1970 avec le renforcement de l'édition scolaire et l'apparition des maisons d'édition qui modèlent encore aujourd'hui le paysage littéraire du Québec.» Le mot «littérature» est absent de ce «Panorama du secteur».   Dans la section «Rôle du ministère», le mot «littérature» est utilisé mais uniquement en relation avec les lois en vigueur: «Le Ministère voit également à l'application des lois concernant le livre et la littérature, soit la Loi sur le statut de l'artiste et la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre. À cet égard, il est responsable de l'agrément des distributeurs, éditeurs et libraires au Québec.»   Enfin, sur son Portail International, tout ce que le gouvernement du Québec trouve à dire au monde au sujet de notre littérature, c'est ceci:   Portail Québec > International > Arts et culture > Littérature et conte > Survol   Survol   La littérature québécoise est relativement jeune. Vers la moitié du 19e siècle, on voit apparaître les premiers écrits québécois. Ces derniers s'inscrivaient dans un courant nationaliste dépeignant une société rurale, axée sur la famille, la terre et la religion. Parmi les romans du terroir on trouve Menaud, maître-draveur (1937) de Félix - Antoine Savard, Le Survenant (1945) de Germaine Guèvremont et Trente arpents (1938) de Louis Ringuet (pseudonyme de Philippe Panneton).   Cette tendance se maintient jusqu'à la Seconde Guerre mondiale où, durant l'après-guerre, on remarque une préférence pour les romans de mœurs urbaines. Cette littérature d'observation, réaliste et contestataire, compte parmi ses grands titres Les Plouffe (1948) de Roger Lemelin. C'est en 1960, avec la Révolution tranquille, que l'industrie de la littérature québécoise commence à se doter de véritables structures. Sortant de la période dite de « grande noirceur », les écrivains québécois revendiquent leur identité culturelle. C'est le foisonnement de nouveaux auteurs. Aujourd'hui, au Québec, il se publie environ 4 000 titres par année.     Source     Quand le gouvernement du Québec affirme que les premiers écrits québécois sont apparus vers la moitié du 19e siècle, il démontre clairement son intention de s'en tenir au seul aspect commercial de notre littérature. Pour le gouvernement du Québec, le premier livre québécois à citer dans la présentation de notre littérature aux étrangers est un roman publié en 1937, Menaud, maître-draveur de Félix Antoine Savard. Or, à ce que je sache, le premier roman québécois date de 1837 et était l'oeuvre de Philippe Aubert de Gaspé, fils. Le gouvernement du Québec passe ainsi sous silence Louis-Joseph Papineau, Patrice Lacombe, François-Xavier Garneau, Octave Crémazie, Philippe Aubert de Gaspé, père, Philippe Aubert de Gaspé, fils, Pamphile Lemay, Louis Fréchette, Eudore Évanturel, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, Laure Conan, Arthur Buies, Honoré Beaugrand, Edmond de Nevers, Nérée Beauchemin, William Chapman, Émile Nelligan, Camille Roy, Louis Hémon, Victor Barbeau, Lionel Groulx, Jean-Charles Harvey, Hector de St-Denys Garneau, Arthur de Bussières, Albert Lozeau, Paul Morin, Jean-Aubert Loranger, Robert Choquette, Alfred Desrochers, Clément Marchand, Albert Laberge, Blanche Lamontagne-Beauregard, Claude-Henri Grignon, Alain Grandbois, Henriette Dessaulles, Harry Bernard, Damase Potvin, Albert Dreux, Albert Ferland, René Chopin, Gonzalve Desaulniers, Lionel Léveillé, Adélard Dugré et plusieurs autres.   Et sur le site Internet de l'ANEL, la section «Brève histoire du livre au Québec» introduit les visiteurs en ces mots: «Depuis longtemps, mais surtout depuis une vingtaine d'années, la culture québécoise existe à travers le monde, en particulier en France et dans les autres pays de la Francophonie.». Puis on nomme Robert Lepage, Louise Beaudoin, Luc Plamondon, Normand Chaurette, Denis Marleau, François Girard, Gilles Vigneault, Robert Charlebois, Richard Desjardins, Céline Dion, Le Cirque du Soleil, la compagnie de danse La La La Human Steps, Marie Chouinard, Wajdi Mouawad, la troupe de théâtre Carbone 14, la compagnie Jocelyne Montpetit Danse et les Violons du Roy. Puis, on souligne que le Québec fut l'invité d'honneur au Salon du livre de Paris en 1999. On enchaîne avec la participation d'éditeurs québécois à la Foire internationale de Francfort de 1998 et on termine avec le «Sommet sur la lecture et le livre» organisé par le gouvernement du Québec au printemps 1998. Cette «brève histoire du livre au Québec» est une véritable aberration.   Pouvez-vous réellement penser monsieur Folch-Ribas que le gouvernement du Québec, l'ANEL et l'UNEQ, devenus des affairistes industriels qui n'en ont rien à foutre de la littérature avant eux, vont vous laisser enseigner les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance, Villon, Ronsard, Labé, Marot, Du Bellay, et les écrivains du XVIIe, Racine, Corneille, Molière et ceux des Lumières, et du Romanisme? Voyons donc. C'est gens-là ne sont même pas capables de remonter dans le temps jusqu'à Émile Nelligan, le poète national des Québécois.     Serge-André Guay, président éditeur Fondation littéraire Fleur de Lys   20 janvier 2008