Le continent Langevin

par Normand Baillargeon
Je vous l'accorde : il faut cent rimailleurs pour faire un auteur de poèmes. Et il faut encore bien des recueils de poésie pour trouver un poète. Mais alors, justement : quand on en a un, on devrait savoir combien c'est précieux, indispensable et salutaire. C'est malheureusement trop souvent le contraire qui se produit, et on tend alors à ne pas accorder toute l'attention qu'ils mériteraient à ces alchimistes du langage qui nous semblent enfermés dans d'hermétiques laboratoires de mots et d'images.
Singulière et néfaste erreur, qui ne me semble que trop répandue.
À l'automne 1995, me parvenait la terrible nouvelle : Gilbert Langevin est au plus mal, à l'Hôpital Notre-Drame, comme il aimait le nommer. Gilbert Langevin, cela voulait dire : un poète absolument essentiel, essentiel comme le pain et l'eau.
Langevin est mort le 18 octobre 1995. Il avait passé sa vie, disait-il, à " cultiver des cris dans la glaise de la nuit ", produisant plus de trente recueils de poèmes et une centaine de textes de chansons, au moins.
Ses récoltes avaient, il est vrai, attiré l'attention de quelques lecteurs et de bien des auditeurs - ceux-là ignorant souvent qu'il était l'auteur des textes qu'ils fredonnaient. Cet ouvrage propose modestement une promenade dans un de ces jardins de hiéroglyphes que trop peu de gens se donnent la peine de déchiffrer.
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Dans un article remarquable et désormais incontournable paru il y a près de trente ans , Pierre Nepveu se penchait avec intelligence et sensibilité sur la poétique de Gilbert Langevin. Nepveu remarquait alors que son œuvre, abondante et importante, n'avait eu droit jusqu'alors qu'à un silence quasi total de la part de la critique universitaire et savante. Cela n'a fait que s'amplifier au fil des ans : l'œuvre devenait de plus en plus importante et abondante, et le silence de la critique " savante " de plus en plus profond.
Diverses raisons peuvent expliquer ces ratés de la critique.