Juste ciel (France)
Le ciel, en jargon d'ici, est tantôt le maître, tantôt le grand nez des moissons, avec ses gants blancs, sa popeline impeccable. Des reflets gris courent sur ses manches : c'est plus bleuté autour du col. Son allure de vieillard douteux ne trompe personne. Parfois il titube, s'affale. Le vin brille en larges taches sur son front. Sa silhouette de noisetier, de saule ébouriffé est vacillante. Le vent aux joues lui donne des allures de bouquet final. Le ciel j'en parlerai des heures avec sa mine de surgir de nulle part, ses talents de peintre du dimanche, puis son caractère d'enfant qui gâche tout. Dès le matin, il ordonne ses tablées d'automne. Ses essoufflements. Est-ce une averse cet habit de velours ? Ou sa propre conscience comme un sceptre, un hochet ? Lui-même croit crever d'ennui là-haut, nous jalouser toute la sainte journée : les fourmis ont toujours incliné les géants. J'aime le surprendre la nuque défaite, le regard vide, haute forêt occupée à ses eaux. Il fomente des gifles de lumière, en rafales lactées, innocentes, des fous rires de gel et de cuivre. Avec ses grosses mains d'homme, son parler picard, il couche les peupliers à terre, dégrafe des corsages, pousse fermement dehors les rivières. Il a parfois des aventures, des fables de chair dans les yeux des rustres. Un matin, il s'installe en oriflamme, éclate sur le toit d'une église. Le curé le désigne du doigt. Les enfants le tirent à la fronde. Le lendemain, il coiffe de ferraille l'or de l'espace à pleines charrettes de nuages gris, de jadis maussades. Puis il flambe déjà ailleurs comme un homme offensé de perdre son temps. Ses pieds de cavalier claquent dans la grêle. Les veuves attendent dans sa main la proie d'un homme et reçoivent en retour les yeux grands ouverts. Le ciel s'éparpille avec toutes sortes de remords, moineaux, pollens, feuilles mortes. Sa silhouette dit oui, respire, s'élance, son climat est sa jeunesse. Il a besoin de terreurs, de tilleuls qui l'embaument. D'anges qui grincent des dents dans le bruit des portes. Il crie, se souille jusqu'au nombril, sa bouche est un feuillage. Sur la balançoire, l'enfant lui vole quelques frissons. Seules les femmes emportent son bon vouloir entre leurs cuisses : un visage clair de ventre, de pure émanation. De chair en robe volante.
Dominique Sampiero