Pierre Sansot

Publié le par la freniere


L'œuvre de Pierre Sansot occupe une place majeure et singulière dans le paysage de l'anthropo-sociologie contemporaine. Majeure par son épistémologie qui lui permet de scruter des objets très différents en leur conservant une unité d'analyse, singulière par sa méthode qui l'autorise à faire émerger un sens inédit aux pratiques de la vie quotidienne.
Fondée sur une approche phénoménologique, l'observation de la vie sociale portée par le sensible laisse alors apparaître tout le poids de l'imagination qui conquiert une légitimité et confère aux recherches un nouveau statut : celui d'un " réalisme poétique ", c'est à dire la possible conciliation entre la science et la poésie

Il ne faut pas se leurrer : Pierre Sansot ne tient pas en place, l'intelligence en éveil, à l'affût de l'imperceptible. Eloigné de l'immobilisme, il emprunte les chemins de traverse, à pied ou assis sur sa bicyclette.
Son grand plaisir est de soulever la poussière de chemins qui ne mènent nulle part. Avec sa tête d'Indien, Pierre Sansot incarne L'homme qui marche du sculpteur Giacometti. Il avance mais ne se retourne pas.




photo: Didier Leclerc



Bibliographie :

  • Poétique de la ville, Klincksieck, 1973. Réédition Petite Bibliothèque Payot, 2004
  • Variations paysagères, Klincksieck, 1983. Réédition Petite Bibliothèque Payot, 2009
  • La France sensible, Champ Vallon, 1985. Réédition petite bibliothèque Payot, 1995
  • Les formes sensibles de la vie sociale, 1986. Presses Universitaires de France.
  • Cahiers d'enfrance, Champ Vallon, 1990. Réédition petite bibliothèque Payot, 1994
  • Le Rugby est une fête, Plon, 1991; réédition sous le titre Le Rugby est une fête, et le tennis non plus, Petite Bibliothèque Payot, 2002
  • Les Gens de peu, PUF, 1992. Rééd. 1994 et 2002
  • Papiers rêvés, papiers enfuis, Fata Morgana, 1993
  • Jardins publics, Payot, 1994. Rééd. 1995
  • Les Pilleurs d'ombres, Payot, 1994 . Rééd. Corps 16, 1995
  • Les Vieux ça ne devrait jamais devenir vieux, Payot, 1995 et 2001
  • Les Pierres songent à nous, Fata Morgana, 1995
  • Demander la Lune, Fata Morgana, 1995
  • Du bon usage de la lenteur, Payot, 1998. Rééd. Corps 16, 1999 et Rivages, 2000
  • Chemins au vent. L'art de voyager, Payot, 2000. Rivages, 2002
  • Narbonne, ville ouverte, Fata Morgana, 2000
  • J'ai renoncé à vous séduire, Desclée De Brouwer, 2002
  • Bains d'enfance, Payot, 2003
  • Jardins publics, Payot, 2003
  • Le Goût de la conversation, De Brouwer, 2003
  • La beauté m'insupporte, Payot, 2004
  • Ce qu'il reste, Payot, 2006 [ouvrage posthume]

Roman

  • Il faudra traverser la vie, Grasset, 1999


Dès les premiers pas, je m'émerveille et je me félicite de tant de pouvoirs que je ne saurai recenser et dont je disposais sans très bien me rendre compte. Ils ne m'ont pas abandonné, ils ne se sont pas rouillés tandis que je demeurais inerte. Un gymnaste, un violoniste, une danseuse ont davantage lieu d'admirer un corps capable d'exécuter des gestes précis, intelligents, originaux mais ils ont eu à les acquérir au cours d'une longue patience.

Les bienfaits de la marche, à vrai dire étonnants, puisqu'ils concernent muscles, nerfs, ligaments, articulations de toute sorte, un équilibre préservé et un déséquilibre utilisé à bon escient, me paraissent plus répandus accordés gracieusement à la plupart d'entre nous, sur un mode en quelque sorte démocratique.


Oserais-je de surcroit exalter, les vertus de l'insouciance de la marche dans une société où l'on exige de nous plus d'application. L'inconscience heureuse que j'évoque ne se confond pas avec l'irresponsabilité. Elle désigne un corps qui se tire à merveille de la tache qu'il s'est, que nous lui avons proposée. Il se montre assez bon joueur, assez bienveillant pour ne pas nous impliquer dans le jeu habituel des délibérations, des arbitrages, car il faut bien toutefois, que les organes s'entendent entre eux pour nous permettre d'avancer.


La marche, une expérience de paix intérieure. D'abord, je me suis détourné des chimères, des illusions batailleuses, des espoirs insensés et promis à l'échec qui m'assailent tant que mon corps n'a pas obtenu sa ration de mouvements. Sur un mode plus positif, je suis en accord avec moi-même. Je ne cours pas après le bonheur, il m'accompagne.


L'exercice le plus simple m'apparaît risqué et c'est encore une preuve de bienveillance de mon corps de passer sous silence les difficultés (mais alors, nous n'avons pas tout à fait conscience de la manière dont un être en mouvements se métamorphose tandis qu'il multiplie les cas de figure, les psotures, les ruptures d'équilibre). Je redoute qu'un jour, un tel bonheur une telle maîtrise me soit refusée. Pour descendre un escalier un peu raide, il me faudra mettre un pied devant l'autre, considérer la marche à venir, me tenir avec quelque raideur à la rampe.


Aujourd'hui, par chance, je surmonte le vertige de la spirale. Mes yeux, malgré la distance, s'élancent jusqu'à toucher le prochain palier et mes pieds ont une vue précise de la surface, du degré d'inclinaison des marches. Une telle colaboration m'enchante. Mon regard à le pouvoir de toucher et mes pieds savent voir. Peut-être un jour mes yeux sauront-ils que voir et mes pieds que toucher.




*

Un chemin se reconnaît au fait que l'autre passant devient notre semblable et qu'il nous paraîtrait inconvenant de ne pas le saluer.


*

C'était enfin une arrivée qui pouvait être anonyme. Nous entendons bien que la plupart des voyageurs étaient attendus par des amis ou par des parents mais nous voulons dire que l'arrivant se sentait un voyageur parmi les autres. Il assumait cette qualité en descendant du train avec tous les autres hommes qui étaient des voyageurs, cernés, concernés par toute cette foule inconnue qui l'assaillait. Quant à l'homme que personne n'accompagnait, il jouissait d'une solitude dont il bénéficierait pendant son exploration de la ville. Ses pas, son visage, ses mains seront, dans la ville ceux d'un voyageur et non point ceux d'un homme qui promène tout simplement. Tant qu'il continuera à parcourir la ville avec sa petite valise à la main, il demeurera le voyageur disponible pour qui tout est possible. Le drame c'est qu'il faut l'abandonner, à un certain moment, et redevenir un homme comme les autres. Certains êtres hors du commun la conservent plus longuement, la transportent d'hôtel en hôtel. Elle devient l'objet essentiel devant lequel s'effacent le lit, la salle de restaurant, les rues. Elle se donne comme l'équivalent antithétique de l'armoire monumentale de la demeure paysanne.


Pierre Sansot

 


 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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J'ai toujours aimé Pierre Sansot. J'ai lu 2 de ses livres 4 ou 5 fois. Quand il est décédé, j'ai eu l'impression de perdre un ami.Merci Jean Marc !