L'écridire (USA)
Un jour, je me suis mise en grève loin de tous, sur le sable. J'ai cueilli une plume blanche, j'ai commencé d'écrire sur l'eau, j'ai parlé aux oiseaux. J'ai inventé l'écridire.
J'ai plongé profond dans l'eau verte, dans le salé, dans les bulles. Frôlée par la transparence des anémones, par le diapré des créatures marines, j'ai écris sur les algues rencontrées au hasard des vagues et des remous. Sur la plage, les mouettes ont accouru en piaillant. J'ai dit leurs cris aigus, malfaisants, irascibles. J'ai écrit l'ennuyance de leurs criailleries, le ridicule de leurs becs agressifs, la beauté de leur vol blanc.
J'ai longuement écrit le ciel et sa lente transformation, la nuit couverte d'étoiles, la douceur opaque de la brume avant le lever du jour, au retour du petit matin. J'ai dit le silence solitaire, puis la rencontre. Le vagabondage solidaire, le petit feu d'algues sèche, partagé ; et le baiser au ralenti, la communion des mains qui n'allaient pas plus loin que l'amour d'être ensemble. J'ai écrit le sourire dans un regard trop tendre et j'ai dit se noyer dans un trop plein de bleu.
C'est l'écridire, c'est la transformation de ce moi hors de soi, hors des autres. C'est la panique éteinte parce qu'il faisait beau, un soir, sur une plage, loin du monde et de tous. Seul à seule avec l'ombre, et la maigre fumée qui monte entre les dunes. Le vert pale de l'herbe, si clair qu'il semble gris, avec la fleur unique penchée sous le vent, dans un goùt d'herbe blanche et de sel et d'eau sombre. Dans la mouvance de deux bouches qui mettaient si longtemps à aller l'une vers l'autre ; si longtemps, plus tard, à se séparer.
C'est l'écridire, cette fuite paresseuse à l'extrême bord de soi, ce retour dans le temps, cet appel vers la joie. C'est le cri, c'est le dire, C'est l'écridire, jamais livré.
C'est l'anti-livre.
Lise Genz