La théière
Dans un coin de brocante, elle était à l'écart. Loin des objets hétéroclites. Sa robe resserrée d'un liseré au cou portait quelque bijou, fanfreluches discrètes. Le pied chaussait un or à peine dépassé. L'arrondi de ses hanches descendait sans faux pli sur sa cheville fine. Elle observait les gens, et son nez relevé d'ancienne vieille dame campait en dignité les tendresses passées. Sans fard, elle gardait ce brillant sur les joues des caresses gourmandes. Ce qu'il reste de traces, le lisse du plaisir quand le temps a passé. Ce temps-là de Jersey où le siècle lisait encore Victor Hugo. Le thé de son histoire tenait une fraîcheur et faisait autour d'elle un espace de grâce. Je passais étourdie de chaleur et de bruit, l'enclume de juillet battant ses redondances, des odeurs mélangées martelant mes papilles. Je n'avais faim de rien. J'ai arrêté mon pas. Elle me regardait.
A l'heure où je l'écris, elle est là, sur ma table. Elle fume un thé blanc, longues feuilles d'Asie. Elle ne dit pas plus qu'elle ne m'avait dit, mais l'ambre de son souffle infuse le bonheur.
Ile Eniger