Geneviève Amyot

Je ne cherche pas la réponse mais la fécondité. Tel est l’enjeu premier de l’œuvre de Geneviève Amyot. À la quête intérieure répond sans cesse une immédiate et sensible présence au monde; à la mort répond cette vie tenace à laquelle se mesure chacune de nos cellules.
Avec Je t’écrirai encore demain, Geneviève Amyot a écrit un véritable hymne à la fécondité : celle du temps d’abord, que manifeste le passage des mois et des saisons; celle de la terre aussi, dont les nourritures nous lient au monde de façon primordiale, et enfin celle de la femme, à travers qui a lieu le processus de la naissance. Ainsi le perpétuel renouvellement de la vie est-il partie intégrante de la vie même. Et s’il nous faut affronter la mort – petites morts quotidiennes, mort des autres et de nous-mêmes -, c’est pour apprendre justement qu’elle creuse en nous un espace qui permet à la vie de se poursuivre.
Voici donc un chant de ferveur, une lettre adressée à un être dont la perte renvoie à la grandeur de l’aventure humaine, à la joie et à la détresse qui l’accompagnent. Par là même, cette lettre s’adresse à chacun de nous.
Depuis 1975, Geneviève Amyot poursuit l’une des œuvres les plus singulières de la littérature québécoise. À l’écart des modes, sa voix est à la fois discrète et exigeante.
À ma fille
Ma fabuleuse mon incroyable
mon étrangère mon obscure
ma si terriblement fraternelle
ma si terriblement fraternelle
ma tête de pioche ma douce mon inquiète
mes petites mains chaudes
mon amande ma lumière
mes tresses
mon horloge impeccable
mes tresses
mon horloge impeccable
mon ruisseau de têtards et de roches
mon sac d'école mes bottes neuves
mon effaceuse
mon dernier paradis
mon sac d'école mes bottes neuves
mon effaceuse
mon dernier paradis
je te porte encore entière dans la chaleur
entêtée de ma chair qui s'étiole je te tiendrai
jusqu'à la fin où je te ferai signe de ferveur
entêtée de ma chair qui s'étiole je te tiendrai
jusqu'à la fin où je te ferai signe de ferveur
ma si vive aux racines extrêmes de l'amour
ma platée de gruau ma chambre forte
ma mère mon glaïeul
ma mère mon glaïeul
ma petite chienne pâle
mon eau de Pâques
mon eau de Pâques
mon oiseau de voyage
mon grand réseau d'artères
ma sauteuse
mon grand réseau d'artères
ma sauteuse
ma résurrection
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Je me demande bien ce que les autres font avec leurs morts. Comment ils les plaignent, les râlent, les bercent, comment ils les rappellent, les invoquent, les étreignent, les annulent, comment ils rendent enfin parfaitement aimables, de quelle peur, de quelle colère ils les maudissent. Je ne sais pas. On n’en dit rien dans les fauteuils, ni au bord des assiettes ou de la télévision. On conseille de repeindre les murs et de sortir davantage. Mais la lutte à la disparition ? À la fatalité ? Je ne suis pas la seule, c’est certain, à quérir tes prolongements. Je ne sais pas comment ils s’arrangent avec les vêtements vidés. De quelles larmes ils les bourrent. Ou les embrouillent. Je ne sais pas. Nous savons si peu de choses les uns des autres. Et nous aimons ainsi, si tant est que nous aimions.
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Bibliographie :
La mort était extravagante, poèmes, Éditions du Noroît, 1975
L’Absent aigu, roman, Quinze, 1976; VLB Éditeur, 1979
Journal de l’année passée, roman, VLB Éditeur, 1978
Dans la pitié des chairs, poèmes, Éditions du Noroît, 1982
Petites fins du monde, récits, VLB Éditeur, 1988
Corps d’atelier, poèmes, Éditions du Noroît, 1990
Je t’écrirai encore demain, Éditions du Noroît, 1995