Deux verres qui se boivent (France)

Publié le par la freniere


À Vladimir Vyssotski (1938-1980)


plus palpable que le reste du monde
la simple idée que j'ai de toi
boit mon verre
toute seule

je n'y touche pas
je le repousse du pied
et pourtant
pour peu que mon souffle t'inspire et t'expire
le verre se vide tout seul
en une minute et quarante-deux secondes

me vient alors l'intuition
que nous nous aimons tant
que nos alcools sont reliés entre eux
par un réseau de fils secrets

me vient alors l'intuition
que ni toi ni moi n'avons bu une seule goutte
je t'appelle pour m'en assurer
et t'en assurer

le téléphone est si lourd
que nous nous mettons à deux pour le décrocher
le porter
le ramener sur la rive

raison
tu me réponds que j'ai raison
non pas parce que j'aime toujours avoir raison
mais parce que cette fois j'ai raison
et je trouve que tu as raison
pour la bonne raison
que je sens ta voix râper mes entrailles

en effet
me dis tu
il arrive un point
où il n'est plus nécessaire de boire
où la douleur et l'extase de s'aimer sont telles
qu'il nous suffit de remplir nos verres en même temps
pour qu'ils se vident et disparaissent du monde visible
et que naisse de notre union
un enfant ivre


Stéphane Méliade


Publié dans Poésie du monde

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article