Hier est mort (U.S.A.)

Publié le par la freniere


Hier s’est évaporé. Nous accrochons nos yeux à des yeux de neuf ans, une salle de classe avec ses trente élèves, le regard de l’enfance sous la frange de brume.

Nous scrutons le regard des amies d’autrefois, en espérant entendre dans l’étroit carton pâle l’écho d’un triple rire croulant en roucoulade. Les trois inséparables, et nous riions beaucoup.
Hier est mort quelque part, silencieux, loin de nous. Entre rue et trottoir, entre classe et solfège, entre petits chaussons de danse et aquarelle, entre rires aigués et cinéma refuge.
Hier s’est enfui sauvage derrière l’écran bleu d’un chalet d’altitude au sommet de l’alpage, entre les roseaux gris au bord de l’océan. Il ne reste qu’un rire, une larme, un parfum. Un nom, gravé en soi, plus fort que tous les âges.

Ne reste rien d’hier, hormis le souvenir, brulant encore et chaud et vibrant de souffrance, au milieu de ma joue, de la gifle reçue, comme ces d’enfants blonds rougissants sous l’insulte. Hier s’est bien effacé au long des mois passés. La brulure est toujours vibrante sur ma joue.

On en tremble, on en meurt, on se croyait souffrants, transis, de vents vêtus, et d’herbes odorantes. On se voulait superbes, pétris de souvenirs, et de mots, et de sons, amants des amours mortes, compagnons d’infortunes, amis des longs chemins.

On se croyait insaisissable, on est saisis en voyant ce qui nous a fait tant de mal. On en rit.

On pense avec mépris à cette petitesse, à ces impérieux besoins d’eux, qu’on avait. On ne se comprend plus. On hoche un peu la tête, on retient nos mots tendres. Qui fuseraient encore par un dernier réflexe, un sourire amical, un geste d’amitié. On se voulait d’hier quand on n’est qu’aujourd’hui. L’aujourd’hui sans tes mots résonne dans les creux.

Dans l’enfer de l’hier hurlent les souvenirs. Je ne crois plus en rien, ni aux lois, ni aux hommes. Aux chiens encore, peut-être, et aux chats de gouttière passants majestueux de l’ombre au clair-obscur.

Dans l’enfer de l’hier, la mémoire vacille. Les mots sont là, écrits, et ne s’effacent pas. La gifle sur la joue garde son importance. Les lèvres de demain n’en effaceront rien. On n’oublie pas, vois-tu, dans l’enfer de l’hier.

N’est pas Judas qui veut. Et pour la rédemption il faudrait un Jésus courbé sur la croix noire. A force de jouer sans fin au roi des rois, il arrive qu’on meure, n’étant pas fils de dieu.

Dans la folie d’hier, là-haut, sur l’Acropole, comme aussi dans l’Olympe, les dieux se faisaient forts d’être sages et sans haine. Ils régnaient sur les hommes, et de leurs punitions, on a fait des poèmes au pays des chansons.

Dans l’amour de l’hier la joie était vibrante, couronnée de mots riches entrelacés en phrases. Elle est tendre, la nuit ; et fragile l’aurore, au pays des langages. Dans l’horreur de l’hier, les mots se sont enfuis.

Dans la joie d’aujourd’hui, ils sont tous revenus.


Lise Genz

Publié dans Poésie du monde

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ah .. surprise, cet ap'm, en me retrouvant chez toi, et merci, JMLF, pour ton coin de fenêtre. ;)