Contre espoir (France)
Nous avions délibérément rayé le mot espoir et ses dérivés pour les remplacer par l'essai, le désir, la volonté. Nous trouvions à espérer trop de passivité. Il nous fallait des actes, un engagement. A cette époque l'horizon ne stagnait pas comme aujourd'hui au bout de la mer, au bout de la route : le rejoindre, ou le rapprocher en le tirant à nous, voilà ce qu'il fallait accomplir. Ayant cessé d'espérer l'entrée au Paradis, nous y avions gagné de considérer la vie comme un incessant mouvement capable de nous offrir un flot vivifiant d'émotions. Nous ne souhaitions pas un bonheur éternel parce que nous considérions l'immobilité comme la victoire de la mort. A cet égard, nous ne demandions ni la Paix, ni l'Amour, ni la Vérité, ni aucun de ces mots que Platon a anoblis et que l'emploi de la majuscule désigne à notre hilarité quand ce n'est pas à notre courroux. Nous ne souhaitions rien, nous vivions sur le champ. La paix, l'amour, la vérité nous occupaient au jour le jour, nous y portions attention ici et maintenant autant qu'il se peut. Ayant tordu le coup aux concepts, la fragilité de notre existence, les rudes débats, les combats glorieux ou sinistres qu'on nous imposait constituaient tout notre univers. Nous nous sentions acteurs, non pas maîtres mais partiellement responsables de notre destin, et malgré la précarité de notre statut d'enfant ou d'adolescent, une certaine fierté nous habitait de garder nos sens éveillés, et d'imaginer la complexité du monde que nous allions réaliser.
Katy Rémy
Katy Rémy