La petite châtelaine

Publié le par la freniere


Les statues du musée Rodin, à Paris, exhibent leurs muscles sur le parquet ciré d’une vieille demeure et devant les arbres du jardin. Les mains des touristes caressent les fesses de bronze et leur donnent un brillant que rehausse la lumière d’automne. Au-delà de son sujet apparent, chaque statue exprime la brutale confiance en soi du sculpteur et son orgueilleuse croyance dans les puissances de l’art. Accaparant tout l’espace, elles font de l’éternité une salle de musculation. Et puis il y a une pièce, une seule, accordée à l’œuvre de Camille Claudel, comme une chambre à part. Elle n’aura guère eu plus de place dans la vie de Rodin. Ses statues dansent, brûlent et appellent. Leur matière frémit comme un voile imperceptiblement soulevé par une respiration légère. Le buste de la petite châtelaine, à lui seul, recueille ce que l’enfance a de plus déchirant. On lit sur ce visage une innocence qui pressent qu’elle sera trahie et rassemble ses forces avant de recevoir le coup fatal. C’est ce que dit cette œuvre dont la grandeur ne doit rien au monde ni à l’art.

 Christian Bobin

Publié dans Accessoires

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