Christian Bachelin
Un silence de neige étouffe ma complainte
Et pourtant il y a quelque chose qui hurle
Et pourtant il y a quelque chose qui saigne
Derrière la fumée opaque de l’hiver

Quand paraît la Neige en 1967 aux éditions Guy Chambelland, Bachelin jeune marié exerce la profession de coursier chez un huissier de justice. Il a été enfant de troupe, manutentionnaire à l’entrepôt des épiceries en gros de Clairoix (près de Compiègne, sa ville natale), joueur d’accordéon aux bals des fêtes patronales en Picardie, chevalier à mobylette rouge et amoureux transi, buveur au long cours des soirées entre copains ( il ira, pour payer sa tournée, jusqu’à vendre à un prix dérisoire son exemplaire de L’Immaculée Conception, qui comportait la bagatelle d’un envoi d’André Breton à Francis Ponge). Il sera encore surveillant dans une coopérative agricole où il vérifiera les manomètres des séchoirs à maïs, pointeau dans une usine de parfum à Grasse où il aura le mal du pays et il sera aussi, à partir de 1973 - l’année de ses quarante ans - « employé aux écritures » à la Société des Gens de Lettres grâce à la bienveillance de Jean Rousselot qui l’introduit dans la maison de Balzac où il restera vingt ans : tout cela n’est pas plus vrai que la poésie où la vie s’invente magistralement, pas plus vrai que le rêve vertigineux de cette vie dont aucune biographie ne saurait rendre compte.
L’œuvre poétique de Christian Bachelin : Stances à la neige (1953), Neige exterminatrice (1967), Le phénix par la lucarne (1971), Ballade transmentale (1975), Médiéval in blues (1979), Complainte cimmérienne (1986), Romance sans issue (1991)
J’écris ce poème avec de la fumée
Avec du sable avec de l’ombre
Mes mains s’enfoncent dans la neige
Sans jamais rencontrer la terre
Mais tout à coup le vent disperse la poussière
La poussière du poème
Tout à coup un cheval couronne de sa mort
Le royaume ébloui que me prête l’hiver
Tout à coup un rose éclate les ténèbres
Tout à coup un poisson ruisselle sur la table
Tout à coup un oiseau traverse la fenêtre
Et la maison s’effondre en gerbe de cristal
Il reste le cri nu de la réalité
Le cri pulvérisé de l’œuf en train d’éclore
Le cri rouge du rat encerclé par le feu
La nudité de l’os quand retombe la cendre
L’évidence du roc de la dent arrachée
Ce qui vibre immobile et se tord de fureur
La clarté sans issue où gravite la mer
La terreur du granit que le gel assassine
Les objets à pétrir comme un pain de famine
Le présent à saisir dans son flagrant délit
[Le] Bleu du temps, c’est le bleu cendre de l’âme intemporelle, le bleu âcre et diaphane des fumées de dépotoir où parfois brûle encore une poupée de chiffons, le bleu du ciel des cimetières, l’horizon d’azur pâle où le temps se dédouble en son abstraction hors du temps. N’importe où dans le brouillard peut fleurir la pervenche – c’est aussi la fleur bleue du Romantisme allemand, le myosotis du profond souviens-toi et de la nostalgie épurée, le bleu du blues dans les brumes de Londres et les houles de la houille.
Comme vous je suis à la poursuite de " la nuance absolue ". Pour moi la nuance oméga c’est le blanc feutré aveuglant, mémoire subite et réminiscence de longue haleine, neige toujours fondante et caresses en suspens, le blanc de l’infini désir froid et du " mourir de ne pas mourir ". Je poursuis un flocon fondu depuis longtemps – mais ce blanc-là, parfois sur les contours, ne se nimbe-t-il pas d’une pâleur légèrement bleutée. Je frôle les démolitions lentes et les lupanars d’antan. Je sais humer les immondices encore fumants, à la recherche du relent du fond des temps.
Christian Bachelin