Ernest Pépin

Publié le par la freniere


Ernest Pépin est né en 1950 au Lamentin (Guadeloupe). Professeur de lettres, il a occupé diverses fonctions dans les domaines culturels en Martinique et Guadeloupe et il est actuellement directeur des affaires culturelles au Conseil général de Guadeloupe. Poète et romancier, Ernest PÉPIN a publié des recueils de poésie :
- Au Verso du silence (1984),-
- Salve et salive (1986),
-Boucan des mots libres (Ed. Casa de las Americas, La Havane, 1990),
-Babil du songer (1997),
et des romans :
- L'Homme au bâton (1994),
- Coulée d'or (1995),
- Tambour-Babel (1996).
 

 

Ils se tiennent par la main
 
Ils se tiennent par la main
Fragiles
    D’avoir traversé le temps
Sur des échasses de sable
Et des marées d’amour
Ils vont dans leur lueur
Comme un soleil couchant
Chavire un bord de mer
Les feuilles d’érable ont rougi leurs paupières
Et quand souffle le vent
Leurs yeux s’envolent
Tourbillonnent
Comme les plumes du temps
Où l’oiseau saluait leur printemps
D’un chant de sentinelle
Gardienne de leurs minuits 
 
Etonnés du voyage
Ils se tiennent par la main
Leurs pas fidèles racontent
Un chemin sans retour
Un chemin quotidien
Bordé de souvenirs
Brodé de cheveux blancs
Ils n’ont qu’un seul miroir
Pour se faire un visage
Ils n’ont qu’une seule patience
Pour demeurer encore
Ils savent que leur amour
A mangé toute leur chair
Et que ce qu’il leur reste
Est-ce pas siamois qui jumelle leurs ombres
Et cette main qui tremble
De s’être donnée à l’autre
En défaite habitable
En murmure de lumière
 
Ils se tiennent par la main
Misérables
Splendides
Comme des cailloux semés dans leur conte d’enfant
Ils sont les passants
    Les passeurs
Que l’amour tient debout
Quand il dresse une tendresse
Que l’amour tient debout
En marins de l’extrême
 
Ils sont l’exemple vivant
De ceux qui vont au port
Pour jeter à la terre la raison de leurs rides
De leurs vagues effeuillées
Depuis la première voile
Avant de s’amarrer à des ailes d’oiseaux
 
Ils se tiennent par la main
       Par les pieds
       Par le cœur
Par ce oui sans défaut
Qui leur sert de mémoire
Par ce oui de l’horloge

Qui bégaie dans leurs pas


Bougie pour André Schwarz-Bart…
 
J’ai à la main la pierre lourde de ton absence
Et depuis

    Les rivières chantent un blues d’enfant abandonné

Tout ce que je savais des mots
Tu me l’as emporté
Car tu étais l’oreille et la bouche
Des passeurs de légendes
Le sable sous mes pas a mis sa robe noire
Pour dire au soleil

         Un juste s’en est allé

J’ai souvenir du feu de tes silences
Comme au premier midi le chant lucide du jour
J’ai souvenir
De l’amitié d’une voix remuée
Avec la prudence de ceux qui savent
Ce que parler veut dire
Tout ce que je sais du cœur des hommes
Tu me l’as donné
En toute simplicité
Sans aucune certitude
Comme un cadeau de verre qu’il suffit d’accepter
J’entre en pleurant dans la maison de Solitude
Et je te cherche dans la lumière d’une bougie
Dans cette île partagée
Comme le livre des livres
Dans la pudeur d’un sourire inconsolé
Je te savais fidèle
         A l’énigme

         A l’émerveille du vivre

         A ce rendez-vous intime

         Avec nos blessures de vivants

Pleurer ne suffit point
Il me faudra apprendre à marcher
Entre l’ombre et la cendre
Avec cette frontière d’étoiles à enjamber
Avec ton autre visage

           De Dernier des justes.

 
 
La poésie nous sauvera…
 
Ce n’était qu’un repas
Le soleil s’emmêlait dans nos mots
Comme un cri de lumière
Tes yeux baptisaient un amour
En pluie de pierres précieuses
polissant un vitrail
Tu parlais du malheur
Avec la voix douce de l’automne
Quand les couleurs du vivre tournent à l’incendie
Je te répondais en greffant sur mes lèvres
Le Cantique des tourterelles
Ta beauté comblait les failles du monde
Reliait le poème du monde
Au désir du désir
Dans l’île qui nous rêvait déjà
Tu es beau m’as-tu dit
Et le monde s’est transformé en cathédrale
Et j’ai compris soudain
Que naissait notre rencontre
Dans la prière du ciel
Dans le vin de nos sangs blessés
Ton épaule presque nue a porté
Ma douleur
Ce n’était qu’un repas
Dénouant les frontières
Harmonisant nos souffles
Et j’ai pensé
       La poésie nous sauvera
       La poésie nous
       La poésie
       La
       L’amour…
 

Ernest PEPIN
Guadeloupe

 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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