André Rochedy

Publié le par la freniere

André Rochedy, l’homme qui murmurait à l’oreille des poèmes
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Si le mot de fraternité porte un sens, dans un espace encore vierge, hors d’atteinte du préfabriqué des discours, alors donnez- le sans conteste à ce poète qui s’appelle André Rochedy et vient de disparaître de notre vue, le 9 août dernier.

Un petit homme discret, au front plissé, aux yeux étrangement ouverts sous le cercle disponible des lunettes, un être qui aimantait la sympathie, parce que tout entier à l’écoute de l’autre, tel fut celui qu’un jour, j’ai eu la chance de croiser. Ce fut une des fortunes d’une fête- surprise qu’ un petit peuple de poètes avait inventée pour célébrer les 10 ans de la maison d’édition, Cheyne, en 1990. Il y a une petite éternité…

Ce jour-là, André nous rejoint d’un sourire qui ne trompe pas, celui de l’amitié immédiate ; et avec ce sourire, son visage dessine déjà un silence hors d’âge qui est celui de larmes enfouies.
Quelles sont-elles ? Seuls ses poèmes voudront bien nous en parler, à mots de feutre, « éparpillés dans le dernier automne », offerts comme « un chevreau contient la poussée de la nuit ». Une œuvre s’écrit ainsi, venue de toute une histoire que le poète, « enfant du songe », a faite sienne, au prix de renoncer à trouver les ailes qui, à hauteur de vue terrestre, le sauveraient peut-être.

C’est donc sur la page que l’on retrouvera ce poète, né à Saint-Agrève en Ardèche en 1942, au temps des résistances et de la nuit qui attendait encore ses promesses. Face aux déflagrations de toute époque, la page d’écriture sera son bien le plus précieux, et tout à côté, le monde qu’il apprend à reconnaître de ses yeux attendris, prêts pour la connivence. C’est le même homme qui aurait pu prononcer ces mots d’un admirable frère en humilité, Reiner Kunze :
 «  Le silence s’amoncelle autour de moi
 terre pour le poème ».
On le verra ainsi ou bien on ne le verra ( mais qu’ importe l’aune de cette mesure-là, dès lors qu’on change d’échelle ), artisan de la pratique durable, de la précision extrême et de la générosité au quotidien, dans sa tâche de professeur de lettres, comme lors de ses animations d’ateliers d’écriture, ou voué à sa collaboration majeure avec Kijno qui illustra plusieurs de ses ouvrages, ou encore avec le peintre Santamouris qui l’accompagna de ses encres.

Rochedy œuvre. Il oeuvre sans claironner, bataillant dans l’imperceptible. Il écrit à travers les années pour ne pas se mentir à lui-même, mais aussi pour offrir la part entr’aperçue dans ses parcours intimes, non exempts d’humour et de fantaisie, puisqu’ aussi bien, faudra-t-il nous le rappeler, « l’homme descend du songe ».

Il s’agira pour lui de travailler en pente, plus ou moins douce ou risquée, « descendre au jardin » comme l’ indique un de ses titres publié dans la collection « poèmes pour grandir » de Cheyne en 1987. Ou bien encore, vivre avec « les petites merveilles » qui font le prix de l’instant rendu à son enfance d’incarnat.
Le « Règne » du poète n’appartient pas à la caste des arrivés. Il est le geste extrême de celui qui accepte de mendier un rayon de soleil, un rire d’enfant, un mot moins haut que l’autre. A Lyon, il vit plus en familier des traboules qu’en bourgeois des grands- places de la culture. Sur les berges du Rhône, il lui suffit de se savoir poète dans les yeux de l’autre, le plus proche témoin pour transmettre la vie, muni de quelques mots en lisière du fleuve.

C’était donc bien cela, son règne. Celui de l’homme qui murmurait à l’oreille des poèmes.

Fils du soleil, Rochedy lève en lui cet aveu :
«  Ma maison, c’est la nuit » ( Cheyne, 2002) , au moment où un mal terrible va peu à peu l’empêcher de donner aux autres la parole qui vit en lui et le fait vivre. Et le murmure se fera, dans l’effroi, île qui se rétrécit, parole rendue muette. Sa nuit, le temps d’après les mots.

André Rochedy a compté bien des proches, à commencer par sa fidèle compagne, la poète Geneviève Raphanel, dont la présence dévouée, jamais démentie, nous renvoie aujourd’hui une image commune inséparable. A lire ses écrits, à dérouler ( avec la patience qu’il mérite) ce travail d’orfèvre de la phrase, mise au silence, je suis sûr que l’auteur de Noctuaire se trouvera de nouveaux amis dans les lecteurs à venir de son œuvre. Et il nous faudra tenir à ce gage de consolation : le temps ne saurait assigner de limites aux rencontres prodigues qui ont lieu par la médiation du langage Mais aujourd’hui, les mots de Christian Gabriel/le Guez Ricord me reviennent à l’esprit  : « J’ai un ami mort devant la porte. Il croyait que se prêter un mouchoir portait malheur. Il est mort, ce vendredi. Nul ne vint le chercher sinon le signe de la croix. Il ressemblait à Van Gogh, il ressemblera à Germain Nouveau » ( Le Mouchoir d’Ephèse, revue Avalanche 1978 ). Et nous nous retrouvons tous, ainsi que l’annonçait le premier titre de Rochedy, un peu : « Bêtes à rire et à pleurer ».

Demain pourtant est déjà là, où notre frère trabouleux nous tient compagnie pour un de ses ateliers d’ écriture, logé entre terre et ciel, dont il détient la clef.

Sur sa porte, on aura soin d’écrire les mots qu’il adressa à d’autres dans un de ses livres les plus poignants ( Par le violet des ombres ) : « Ici, les gens méritent leur ciel ». Nous savons d’avance que par pudeur, d’un coup d’éponge, il refuserait cet hommage, en effaçant ces mots tout aussitôt.

Alors nous écouterons encore. Quelque part, au-delà du Rhône, on entendra une voix, comme celle d’un Japon intérieur, que nous aurons appris à fréquenter: «  Où fut si blanche la joie du cerisier, il fit un clos de louange ».

Parmi tous les chants d’oiseaux, jusqu’à tard dans la nuit, sans doute, ce sera lui, « le chant de l’oiseleur », revenu d’outre-tombe ; cette voix d’André Rochedy qu’entre mille vibrations nous pourrions reconnaître.

En ces heures-là, mon Dieu, les mots de fraternité n’auront plus besoin de se chercher un sens.

 

©Dominique  Sorrente
Vigne de la Désirée,
Bedoin,
le 23 août 2006

 

André Rochedy (1942-2006) est né en 1942 à Saint-Agrève (Ardèche). Il vécut à Lyon où il fut professeur de lettres. Il a collaboré à plusieurs revues dont Voix d’encre, Lieux d’être, La Sape… Il a participé à de nombreuses animations : lectures, ateliers d’écriture. Travail régulier avec plusieurs artistes, notamment le peintre Santamouris et Kijno qui a illustré plusieurs de ses ouvrages. Il est mort le 9 Août 2006.

André Rochedy a également collaboré à de nombreuses revues : Faire-part, Voix d’encre, Poésie-Rencontres, Arpa Laudes, Lieux d’être, La Sape, Rétroviseur, Paradiso, L’Arbre à paroles… André Rochedy a aussi été lauréat du prix de Poésie Jeunesse 2002 pour son recueil : Des étoiles dans mon sac à pain. Il a notamment travaillé avec les peintres Santamouris (Dans la main du vent) et Kijno (Noctuaire, 1987, et Par le violet des roses).

 

Bibliographie:

Bêtes à rire et à pleurer, Ed. Magnard, 1984
Noctuaire, avec des papiers froissés de Kijno, Ed Chambelland, 1987
Descendre au jardin, illustrations de Martine Mellinette, Cheyne éditeur, 1987
Fils du soleil, Ed. L’arbre à paroles, 1991
Par le violet des roses, avec des papiers froissés de Kijno, Cheyne éditeur, 1992
L’homme descend du songe, illustrations et mise en page d’Annie Gaukems, ed L’arbre à paroles, 1992
Le chant de l’oiseleur, illustrations Martine Mellinette, Cheyne éditeur, 1993
Les petites merveilles, L’arbre à paroles, 1999
Règne, édition Tétras-Lyre, Liège, 1999
L’enfant du songe, L’arbre à paroles, 2001
Ma maison, c’est la nuit, Cheyne éditeur 2002

 

Elle sait le feu, l’ombre qui bouge dans l’image, la neige par des doigts d’enfant dépliée. Elle dit qu’il faut garder un lys pour l’orage. Elle dit qu’en son pays les arbres regardent loin.

Elle veille au bord du fleuve ceux qui sont sans voix, écarte l’eau blanche montant jusqu’aux yeux sauvagement agrandis. Elle n’entrera pas dans l’énigme de la nuit.

Elle ne veut plus que le sommeil la couvre de violettes. Elle nous supplie de ne plus jeter une poignée de terre sur ses rêves. Elle sait qu’à la saison des miroirs, toute face est un masque peint.

Au bord des lampes, son sourire et la rose affamée.

Elle voudrait que jamais les mots ne vieillissent ainsi que ruches de bleuets…

Elle aime se perdre dans le feu blanc de l’amandier et comme l’aveugle inventer la route qui s’échappe du monde, passés les ciels de couleur.

 

*

Il avait si peur de la nuit
qu’il courut s’abriter
dans le verger
et la nuit le suivait.
Il sauta le ruisseau,
traversa la forêt
et la nuit le touchait.
Il se blottit dans le gîte d’un lièvre.
Tout près, tout près,
la nuit contre lui tremblait.
Il s’enferma dans le bleu d’une étoile,
dans le cri d’une effraie
et tendrement la nuit l’embrassait.

Alors, il ferma les yeux à demi
et la nuit fut en lui.

 

*

On ne vient pas de l’enfance

on va…

 

Un espace révélé à découvrir.

 

Déchirer le silence dériver lentement

dans la courbe du sommeil,

éloigner l’heure à force d’abeilles.

Les lunes sont venues

comme au verger les pommes,

un oiseau marche sur le ciel.

 

Il a fallu toute une vie

pour atteindre la ligne de partage.

 

Ce jour-là, on est seul.

 

André Rochedy

 

 

 

 

 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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