Antonnella Anedda

Publié le par la freniere


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    D’origine sarde et corse (Serra de Serra-di-Scopamène par sa grand-mère), Antonella Anedda (Antonella Anedda-Angioy) est née le 22 décembre 1958 à Rome où elle a suivi des études d’histoire de l’art. Elle partage son temps entre la « Ville éternelle », Lugano, la Corse* et l'île sarde de La Maddalena, « un’isola nell’isola », « île d'une pensée » selon les termes d'Antonella Anedda, allégorisation d'une nécessaire condition poétique de solitude et d'insularité dont l'écho se retrouve dans le vers de Celan : « Niergends fragt es nach dir » [In nessun luogo si chiede di te].

« J’écris avec patience
je ne crois pas à l’éternité
la lenteur me vient du silence
et d'une liberté ― invisible ―
que ne connaît pas le Continent
l’île d’une pensée qui me pousse
à resserrer le temps
à lui donner de l’espace
en inventant pour cette langue son désert. »

    Antonella Anedda a enseigné le français à la Faculté des lettres et de philosophie de l'Université de Sienne/Arezzo, avant de travailler pour l’Istituto di studi italiani (ISI) de Lugano (Università della Svizzera italiana) et d'occuper la chaire d'anglistique de l'université de Rome. Elle écrit dans de nombreux périodiques et revues : Il Manifesto, Legendaria, Linea d’ombra, MicroMega, Nuovi Argomenti (éditions Mondadori), Poesia (éditions Crocetti).

    Antonella Anedda est l’auteure de quatre recueils de poésie, un cinquième recueil (Salva con nome) étant en cours d'élaboration.


    En tant que traductrice, elle a aussi dirigé l'édition de deux ouvrages de Philippe Jaccottet : Appunti per una semina : poesie e prose 1954-1994, anthologie de poèmes (Fondazione Piazzolla, Rome, 1994), et l'édition italienne de La parola russia (Donzelli editore, 2004 ; éd. fr. : À partir du mot Russie, Fata Morgana, 2003). Elle a en outre publié un recueil de variations poétiques et de poésies étrangères intitulé Nomi Distanti (Empiria, Rome, 1998). Elle a aussi traduit Les Tristes d'Ovide, et, plus récemment, Ann Carson et Jamie Mckendrick, et s'apprête à publier un ouvrage consacré à l'art contemporain (et notamment à Bill Viola).

    Tenue pour l’une des voix les plus originales de la poésie italienne contemporaine, Antonella Anedda est présente dans de très nombreuses anthologies italiennes et étrangères. Une traduction partielle de Notti di pace occidentale (Nuits de paix occidentale & autres poèmes) a paru le 7 novembre 2008 aux éditions bordelaises L'Escampette (traduction de Jean-Baptiste Para, directeur de la revue Europe)**. Certains des poèmes traduits dans ce recueil ont déjà paru dans le n° 1 de la revue Confluences poétiques (Mercure de France, mars 2006), dans le n° 132 (décembre 2006) de la revue Décharge, dans le n° 20 (automne-hiver 2007) de la revue Rehauts, et dans la revue Europe (novembre 2007).


Angèle Paoli 

 

Glané sur l'excellent site Terre de femmes

 

Bibliographie

 

- Residenze Invernali (Crocetti, Milan, 1992, préface d'Arnaldo Colasanti), pour lequel elle a reçu le prix Sinisgalli, le prix Diego Valeri et le Tratti Poetry Prize ;
- Notti di pace occidentale (Donzelli, Rome, septembre 1999). Prix Montale 2000 ;
- Il catalogo della gioia (Donzelli, Rome, 2003) ;
- Dal balcone del corpo (Mondadori, Collection Lo specchio, Milan, juin 2007). Prix Napoli 2007. Prix Giuseppe Dessì 2008.

 Elle a également publié quatre recueils d’essais et nouvelles :

- Cosa sono gli anni (Fazi Editore, Rome, 1997) ;
- La luce delle cose (Feltrinelli, Milan, 2000) ;
- Tre stazioni (LietoColle, Faloppio, 2003) ;
- La vita degli dettagli (Donzelli, collana Saggine, Rome, 2009).

 

11 SEPTEMBRE 2001

Je suis le sillage de la lumière à l'intérieur des mois, dans la crypte automnale
j'écoute la première pluie, ample, sur la gouttière.
Septembre ― dit le calendrier à moitié consommé avec ses figures
d'insectes sur les feuilles. Presque octobre en avance les coquilles
d'escargots une pour chaque jour comme pour réfuter la peur avec la lenteur.

Loue ces créatures de la terre, leur vol bref, la main patiente qui dessine.
Contre le feu, le ciel céleste de la foi.

En bas, dans le jardin, l'architecture rayonnante des lombrics, un
voile de fourmis sous le pommier. Je m'incline devant la boue, devant les moucherons
devant l'escargot, devant la fatigue avec laquelle il grimpe sur mon doigt.

 

 

POUR UN NOUVEL HIVER

À la mort d’A.R.


S’il suffisait de ceci : arriver quelque part
en prononcer parfaitement le nom, être à la maison.

Heureux hiver quand le nouvel hiver est passé
d’un début qui pour nous est encore sans nom
proche du chemin des filets, l’été
peut-être, un faible cercle de lueurs.
Autour, des plantes seules
que tu n’aurais pas eu le temps de déplacer
de l’eau sur les pierres soufflée ― la grêle
nous ne saurons jamais si elle est arrivée au bruit
qu’elle faisait sur les toits, là à ton époque
dans la propreté blanche et humaine des sanitaires.
Jusque là, juste des pas nets
que tu écoutes peut-être avec un ardent silence
et l’air entre les orangers agités lentement par la main des vivants.

Tu vois, ici pour la première fois, rien ne se perd.
Ce matin, ils ont battu la terre
froide ― comblée par la joie des eaux
le vent dans la cour
a oublié pour toi
la barre de la chaise, la nuque renversée.
Bonne nuit maintenant qu’il fait nuit à nouveau
et il est faux que le gel durera
et doucement tu abaisses la pensée
peut-être un déclic déclenche-t-il quelque chose en hauteur
très haut ―
une note
au-delà du bec, au-delà des yeux brillants d’un oiseau
un éclair de colline ― celle-là en bas
collée au toit vert bronze de l’église.
Bonne nuit à toi
à jamais privée d’abîme une steppe de l’âme étouffée
où l’olivier se plie sans un bruit
Jérusalem de la quiétude
de la quiétude et du tronc qui encercle et inscrit la mort
qui l’aspire dans le vide et dans le vide la jette
et la mâche lentement.

Je n’ai ni voix ni chant
mais une langue tressée de paille
une langue de corde et du sel dans mon poing
plein pour chaque fissure
dans le portail de la maison qui frappe sur le tombeau dur de l’aube
de l’obscurité à l’obscurité,
pour qui reste
pour qui tourne.

 

 

*

 

Si j’ai écrit c’est par inquiétude
parce que j’avais souci de la vie
de la félicité des êtres
serrés dans l’ombre du soir
quand le soir s’abat soudain sur les nuques.
J’écrivais pour la pitié des ténèbres
pour toute créature qui recule
dos plaqué à la rambarde
pour l’attente marine – sans cri – infinie

Écris, me dis-je, et j’écris
pour avancer plus seule dans l’énigme
parce que mes yeux m’alarment
et le silence des pas est mien, mienne la lumière
déserte – clarté de bruyère –
sur la terre de l’avenue
Écris parce que rien n’est défendu et le mot arbre
tremble plus fragile que l’arbre, sans ramure ni oiseaux
parce que seul le courage peut creuser
vers le haut la patience
jusqu’à ôter du poids
à la noire pesanteur du pré.

 

*

 

MAI, NUIT

À ma mère et mon père


Vent de mai de Bonifacio à Corte, mistral depuis les Bouches à rebours jusqu’à Santa Teresa et au sud du sud jusqu’au Campidano. Archipels en étoile et fureur de beauté sans dieux. Les vaches défilent pour la fête de Sant’Efisio, avec les cornes entourées de fleurs, elles avancent avec la mer lumière-blanche sur le dos.
Là-bas ― l’horizon. Ici ― dans la pièce ― meurt le chien le plus aimé, avec le museau entrouvert à la lumière comme fini par une main invisible. 

 

 

 

NOVEMBRE, NUIT


Même maintenant je vois un geste nuptial
après l’immense distance de cet été lent
dans la courbe de ses tiges amères
après les années qui au-devant d’elles
ont barré l’amour pour qu’il ne se perde
jusqu’à le perdre assourdi contre l’herbe.

Aujourd'hui c'est une nuit de pluie.
Nous pouvons la traverser selon deux lueurs diverses sans lumière
dire, en touchant le bord gelé d'un verre
que tant d'éloignement n'a pas été une erreur
s'il a ceint et dissipé secrètement
tout désir irréel.

 

Antonella Anedda

 


Publié dans Les marcheurs de rêve

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