Archéologie de la contreculture québécoise
-
- Depuis que mes années d’université sont passées, je ne cours plus les conférences intellectuelles. Si, ce jeudi soir du 11 avril 2013, je me suis rendu à celle organisée par la librairie Olivieri pour la sortie du numéro de la revue Liberté, c’était plus par un heureux hasard que par l’objectif d’y assister. J’ai d’ailleurs manqué les premières minutes de cette conférence portant sur le phénomène de la contre-culture québécoise dans les années 1960-1970. Une vingtaine d’auditeurs assistaient à la table de discussion animée par Olivier Kermeid. On y retrouvait trois collaborateurs à ce numéro, Catherine Lalonde, Jonathan Lamy et Jean-Philippe Warren.
Le placard d’invitation était formulé ainsi : - Il est de bon ton de se moquer de la contre-culture aujourd’hui. Les communes, l’amour libre, le LSD et le patchouli, comme tous les clichés, sont en effet souvent risibles. Mais l’héritage de la contre-culture se limite-t-il bien à ces bêtises ?
Le Québec moderne doit beaucoup, comme on le sait, à la Révolution tranquille, et bon nombre de figures de la contre-culture se sont permis de rappeler le point de départ politique, réformateur et rebelle de cette révolution dont les acteurs sont devenus, au fil du temps, trop dociles. Et si la contre-culture avait servi, entre autres, à pointer du doigt le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles? Leur lente mais sûre institutionnalisation?
Avec cette causerie nous désirons prolonger la réflexion aborder dans le dernier numéro de Liberté et nous nourrir d’une question essentielle: que s’est-il passé au juste pendant cette période qui, au-delà des jugements esthétiques ou éthiques, fut marquante pour l’art au Québec? Cette contre-culture existe-t-elle encore? A-t-elle été récupérée par l’industrie culturelle (ses détracteurs diraient qu’elle en a toujours fait partie)? A-t-elle disparu des radars? A-t-elle des héritiers, si oui, lesquels? - En fait, ce placard est passablement «caricatural» en lui-même. Qualifier de bêtises les stéréotypes des communes, de l’amour libre, du LSD et du patchouli, donne, tout en s’en défendant, une image quelque peu équivoque de ce que l’on entend parler. Autre élément dissonant : l’opposition entre la «bonne» Révolution tranquille (soudainement mise au pluriel) et la «mauvaise» contre-culture qui serait «le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles; leur lente mais sûre institutionnalisation». Cette vision manichéenne est simpliste en soi tant la contre-culture a participé de la Révolution tranquille et que sans la Révolution tranquille, l'explosion de la contre-culture n'aurait pas été possible, comme le démontre l'échec de Refus global en 1948. Cette hypothèse de l'endormissement fait écho aux critiques des communistes de l’époque, mais dans les faits, l'endormissement révolutionnaire est venu de ceux-là mêmes qui se faisaient les défenseurs du prolétariat et les encaisseurs de l'État, comme le montrent, encore une fois, le scandale de l'îlot Voyageur, l'éloge de la richesse de «l'économiste» de La Presse et la rigidité centraliste démocratique qui a été celle du Bloc Québécois pendant 20 ans. Après avoir étalé les jugements pré-conçus, le placard nous invite donc à nous interroger sur ces années de contre-culture québécoise. Que s’est-il passé au juste qui déborderait les limites du jugement esthétique et éthique? La contre-culture a-t-elle été récupérée? Est-elle disparue des radars? A-t-elle des héritiers et si oui, lesquels, ce à quoi on associe une caricature de l’Anarchopanda!
-
Ayant manqué le début de la causerie, je suis arrivé au moment où les intervenants discutait d’une manière assez souple sur la contre-culture avec ses icônes : Denis Vanier, Josée Yvon; même Michel Tremblay y est passé. Ma première question en moi-même était «de quoi parlent-ils?» Et j’ai eu un moment de doutes lorsqu’un assistant leur a demandé d’où venait ce terme de contre-culture? Personne à la tablée ne pouvait y répondre et postulait, sur le mode de pensée analogique, à l’origine anglaise de l’expression Quiet Revolution, qui, «traduit», nous a donné cette périodisation de l'histoire du Québec. J’étais un peu gêné, en tant qu’historien, de voir des gens qui discutent de la contre-culture, des intellectuels visiblement intelligents et passionnés par leur objet, ne s’être jamais posé la question de l'origine de l'expression.
(...)
Jean-Paul Coupal