Chère petite mouche
Chère petite mouche,
j’envoie cette carte en poste restante à Puylaurens où nous nous sommes connus, où vous la reconnaîtrez peut-être. Avant de vous quitter, j’avais discrètement saupoudré ma nappe de débris de sucre. Mais – je m’en avise trop tard – vous auriez sans doute mieux aimé quelques-uns de ces signes qui, dit-on, ressemblent à vos pattes, et où notre vanité se figure capturer l’univers. Cependant je n’ai même pas attrapé une mouche. J’en suis heureux pour vous. Votre promptitude n’a d’égale que la nôtre dans tous ces livres où nous cherchons le secret, et qui parfois voudraient nous aplatir entre leurs pages. Dieu sait d’ailleurs ce qu’auront lu dans ce cahier vos beaux yeux à facettes, et si vous ne gardez pas l’illusion – qui est aussi la mienne – d’en être jusqu’à un certain point l’auteur. Ou étiez-vous l’incarnation ailée, bourdonnante et fuyante, du seul mot qui m’aura toujours manqué ?
Je vous promets d’écrire un jour un poème pour les mouches,
des vers qu’elles seules pourront comprendre et lentement savourer
avec leur trompe en mirliton butinant sur la bouche
béante qui nous sépare le miel d’un savoir égaré.
Jacques Réda