Combattre l'optimisme économique
Aux petites heures du matin, à ma table de pommier, un tas d 'ouvrages éparpillés dessus, je regarde. Quoi? Je ne sais pas, car revenir à Nietzsche après le 7 avril représente une autre espèce de douleur - alors que j'aimerais être comme le chien que je n'ai plus: m'en aller dehors et hurler à la lune jusqu'à l'épuisement de ce qui m'enrage dans le ça que je suis.
Au hasard, je tire un ouvrage de Nietzsche vers moi - je ne veux pas savoir quel en est le titre, je veux simplement que mes yeux s'arrêtent sur une phrase, n'importe quelle, venue du hasard. M'importe peu celles qui viennent avant celle-là et celles qui suivent celle-là - une petite bouteille jadis lancée dans la mer Océane et qui s'est échoué sur la grave.
Ainsi se laisse voir la couleur de ce court passage écrit par Nietzsche:
"Ce que je combats, c'est l'optimiste économique: comme si, avec les frais croissants de tous, devait nécessairement croître aussi le profit de tous. Le contraire me semble être notre cas: les frais de tous se soldent par un déficit total; l'être humain s'avilit, si bien que l'on ne sait plus seulement à quelle fin a bien pu servir cet énorme processus. À quelle fin? Un nouveau à quelle fin - voilà ce qui est nécessaire à l'humanité."
Peut-être devrais-je faire parvenir ces mots à Philippe Couillard de l'Espinay et à François Legault dont les programmes politiques se résument précisément à "cet optimisme économique" - qui était aussi celui de Jean Charest, cela vaut-il même la peine que je le mentionne?
À force de n'entendre que ce martelage de l'optimisme économique, le bon peuple finit par croire à sa réalité et à marteler à son tour le fameux slogan, croyant même qu'il est lui-même l'auteur de cette invention. Par-devers cette chimère prise comme étant "la seule et vraie affaire", il en oublie de ce fait tout ce qui donne son prix à l'humanité: le devoir de penser qui, seul, permet cet espoir dont parle Nietzsche... trouver "un nouveau à quelle fin".
Victor-Lévy Beaulieu