Denise Boucher
Native de Victoriaville, cette diplômée en pédagogie de l'Université de Sherbrooke enseigne pendant quelques années et se tourne vers le journalisme au début des années 1960. Elle travaille pour plusieurs journaux et est pigiste à Radio-Canada. Ses premières oeuvres sont «Retailles» (1977) et «Cyprine» (1978). Sa controversée pièce «Les fées ont soif», jouée pour la première fois en 1978, lui apporte une certaine notoriété. En 1996, elle écrit une autre pièce de théâtre intitulée «Les Divines». Elles est l'auteure de plusieurs recueils de poésie comme «Paris Polaroïd» (1990) et «Grandeur nature» (1993) et signe les paroles de certains succès de Gerry Boulet et de Pauline Julien.
Dramaturge, poète, auteure de chansons et femme de combat, Denise Boucher a attendu d'avoir 75 ans pour publier son premier roman. Au beau milieu, la fin est un livre sur la vieillesse comme on l'a rarement lue, écrit par une dame qui n'aura jamais la langue dans sa poche et dont la capacité d'indignation est restée intacte.
«J'en ai contre les arnaqueurs de toutes sortes», lance Denise Boucher au coeur de notre entretien d'une heure et demie, pendant lequel elle montera plusieurs fois le ton contre des situations qui la «choquent noir», que ce soit la mascarade du président Sarkozy en Libye ou l'emprise des banques sur les États. Elle raconte aussi comment elle s'est retrouvée seule devant l'édifice de la Caisse de dépôt lors de l'annonce des pertes historiques de 40 milliards en 2008, espérant une manifestation spontanée. «Si j'avais été sur Twitter... Je pense que les gens étaient catastrophés, mais immobilisés.»
La fonction du poète est de dire cette révolte, croit-elle. La colère face à l'injustice et à la cupidité traverse d'ailleurs Au beau milieu,la fin, court roman écrit sous la forme épistolaire - des courriels en fait, envoyés par la narratrice Adèle à une de ses amies. «J'ai eu l'idée d'écrire ce roman en lisant un énième article qui commençait avec «Compte tenu du vieillissement de la population». Ça m'a agressée parce que c'est comme si c'était devenu banal de dire ça, et ça se terminait avec une question: «Êtes-vous pour ou contre l'euthanasie?».»
Cette question, Denise Boucher la trouve dangereuse et quand elle l'entend, elle comprend qu'on essaie de se débarrasser des vieux. «Ou on fait semblant qu'on n'existe pas, ce qui est presque la même chose. C'est comme s'il fallait se faire pardonner d'exister encore. Ces gens qui ont travaillé toute leur vie, qui ont mis de l'argent dans leur REER pour se faire dire ensuite que la caisse est vide, je suis inquiète pour eux. Je suis inquiète pour moi, pour mes amies.»
Au beau milieu, la fin commence avec un drame: au retour d'un long voyage en Italie avec son amoureux, Zut, Adèle trouve son appartement saccagé par la famille française qui l'avait sous-loué.
C'est le début d'une quête pour l'octogénaire qui a l'impression d'être devenue vieille d'un seul coup et qui, entre deux rendez-vous chez le médecin, prend soin d'un voisin presque aveugle, s'occupe de la fille cinquantenaire et nouvellement ménopausée d'une amie, protège le secret d'une connaissance malade qui s'est fait embobiner par un docteur charlatan.
Elle raconte donc son chemin et ses pensées dans une série de courriels qui peuvent sembler épars, mais qui forment une véritable histoire. «J'aime la forme épistolaire car ça permet les digressions. Ça ressemble à ce qui se passe dans mon esprit», dit l'auteure, pour qui l'écriture horizontale du roman, par rapport à la verticalité du poème, a signifié l'absence de contrainte et la liberté totale. «Dans la prose, on peut prendre plus d'espace.»
«Adèle l'arpenteuse, Adèle et la cortisone, Adèle au pays des nulles, Adèle la fidèle»: chaque signature résume parfaitement chaque épisode et les 80 ans d'Adèle ne sont trahis que par les divers bobos dont elle est affligée. Amitié, amour, trahison, intrigue, manifestement ces thèmes n'appartiennent pas qu'à la jeunesse. «Ça n'arrête jamais ces affaires-là!» s'exclame l'auteure en souriant quand on lui dit qu'on espérait tout de même se reposer de tout ça un jour.
Malgré la gravité du sujet, l'humour n'est pas absent de ce livre où les jeux de mots abondent et où l'auteure s'amuse à déconstruire les métaphores ou à faire apparaître «le poète québécois» de manière récurrente. «Les fées ont soif (sa pièce qui a fait scandale en 1978) aussi, c'était drôle! Il y avait des gags, des punchs, les gens riaient... mais de toutes les couleurs.» On sent en tout cas que Denise Boucher s'est amusée en écrivant ce livre - la recherche d'un Joseph pour la crèche d'Adèle, par exemple, est assez comique, et au-delà de la colère, on retrouve clairement une certaine jubilation. «Mais la colère aussi, c'est jubilatoire!»
Les maux de la vieillesse
Denise Boucher a probablement écrit un des livres les plus justes sur la vieillesse et ses maux, mais refuse de parler au nom de sa génération. «Si j'écris, c'est parce que je veux que personne ne parle en mon nom.» Farouchement anarchiste, elle ne se veut porte-parole de rien ni de personne, mais sa parole est malgré tout universelle parce que franche et sans fard.
Au-delà des considérations économiques et politiques, Denise Boucher parle de la vieillesse avec des mots crus et n'hésite pas à en nommer les différents maux. «Tu prends un rendez-vous avec quelqu'un et le jour même, tu dois annuler à cause d'une crise d'arthrose...», raconte-t-elle. Pour elle, la vieillesse est une grande aventure, aussi grande que celle de l'adolescence. «C'est une aventure prévisible, mais pleine d'imprévus. Le bobo, le pli, tu ne le vois jamais venir. Mais on apprend à vivre avec ça, avec les morts.»
Elle savoure cependant chaque petit plaisir et se laisse encore saisir par l'étonnement, par la pousse d'un bonzaï qu'elle a trouvé dans un bouquet ou la visite d'un garçon de 20 ans avec sa guitare - «rien à faire, on craque toujours pour les jeunes hommes avec une guitare!». La sagesse, elle ne connaît pas, mais affirme avoir l'oeil plus vigilant qu'avant, s'émerveiller encore devant la beauté et la bonté, fondre devant la gentillesse. «J'ai une vision plus élargie, mais je vois davantage les détails», dit-elle.
«Il y a une cible, la mort, et jusque-là c'est un vol en avion dont on ne peut descendre. On ne peut pas, comme en voiture, se tasser sur le côté pour se reposer. Tu planes jusqu'à ce que ça arrête.»
Josée Lapointe La Presse
Bibliographie
Je viens comme une mante religieuse - 1975
Retailles - 1977
Cyprine - 1978 - éditeur : Montréal : Editions de l'Aurore
Les fées ont soif - 1978 - éditeur : Montréal : Editions Intermède
Lettres d'Italie - 1987 - éditeur : Montréal : L'Hexagone
Gémeaux croisées - 1988 - éditeur : Paris : Beba
Grandeur nature - 1993 - éditeur : Montréal : Écrits des forges
Les divines - 1996 - éditeur : Montréal : Les Herbes rouges
A cœur de jour - 1996 - éditeur : Écrits des Forges
Tamano Natural - 2000 - éditeur : Écrits des Forges
Un joint universel - 2001 - éditeur : Écrits des Forges
Traversée en trois temps - 2002 - éditeur : Montréal : Trait d'Union
Jézabel - 2003 - éditeur : Montreal : Les Herbes rouges
Une voyelle - 2007 - éditeur : Montréal : Leméac
Au beau milieu, la fin - 2011 - éditeur : Montréal : Leméac
La visite
Pourvu qu’il reste
des feuilles à l’arbre
un carré rouge
de l’érable
une laize
citron
sur le trottoir
pour les yeux des filles
qui arriveront demain
vous ne connaissiez de Montréal
que ses rideaux
et bancs de neige
vous êtes revenus
en juillet
avec le grain de sel
du doute
dans vos lainages
épais
vous nous avez faire rire
au coton
maintenant vous accédez
à tous les pôles de notre folie
vous étiez donc allé
au pays où
on fait une tarte
avec trois bleuets
et dans l’autre où
les maringouins
vont aux fraises
avec vous
qu’avez-vous pensé
des mouches à feu
avez-vous entendu le huard
sur la côte
mais vous êtes surtout
revenu
si heureux des baleines
que vous avez fini
par ne plus comprendre
l’absolu de Moby Dick
pour zigzaguer
entre le romantisme
et le sentimental
dans la piscine creusée
d’un motel
planté
dans les odeurs de résine
de l’Abitibi
là où pleuvent tant de lacs
*
Je te remercie
de m’avoir emmené
au cimetière
avec un sécateur
pour cueillir
des pivoines
et du seringa
et d’avoir
avec un rire
de Quichotte
hurlé
dans le commencement
de l’été
que tu pouvais bien nier
la grande négation
Denise Boucher