Éloge à Gaetan Soucy
ll signait ses lettres Ton G. Alors je l’appelais Tong. Mon cher Tong.
Nous avons perdu Gaétan Soucy, rendez-vous un peu compte. Mais avec quel instrument sonder ce vide qui s’ouvre soudain ? Pour moi un allié de moins sur la terre, comme si j’en avais à n’en savoir que faire.
Un écrivain prodigieux, sans conteste un des meilleurs, et qui aura encore de beaux lendemains, sinon ce monde est définitivement mort et je ne veux plus y vivre non plus. D’ailleurs, je le quitterai moi aussi un jour, Tong, je t’en fais le serment. La petite fille qui aimait trop les allumettes, Music-Hall !, L’Angoisse du héron, quels livres ! Mais Gaétan était un écrivain à chaque instant, un écrivain encore hors contexte, pas le genre d’écrivain borné par sa page, puis un homme sensible et doux, doué de tant de talents – et cela est sans lendemains. Tout ce que la mort nous prend avec sa désinvolture obtuse, tout ce qui disparaît ; et ne reste alors que la douleur de vivre.
Je n’ai jamais rencontré Tong. Si bien que sa disparition pour moi n’est pas celle d’un visage ni d’un corps, ni même d’une voix. Sa présence bien réelle et si importante dans ma vie ne s’est pas incarnée, elle est restée purement littéraire en somme, et il m’apparaît que ce genre d’amitié qui se passe de tout le reste et se développe pourtant jusqu’à la plus grande intimité, jusqu’à une familiarité absolue, ne peut sans doute exister qu’entre écrivains.
(Puis l’ami est soudain englouti dans le silence. Et c’est le survivant qui fait l’expérience du néant.)
Les morts sont trop grands pour nous.