Gouttières
Nos temps modernes n’ont pas été très tendres pour les chats de gouttières. Cela est infiniment déplorable. J’y vois deux raisons au moins : la peur du parler vrai ou la dictature du politiquement correct.
Les vétérinaires, les éleveurs, les lexicologues, les bien-pensants, les professionnels de l’antiracisme, les belles âmes, les gens de gauche parce qu’ils sont de gauche et les gens de droite parce qu’ils n’aiment être de droite, en bref tout le monde vous le dira et le répètera : il ne faut plus dire chat de gouttière. C’est méprisant et dépréciatif. Est-ce qu’on parle encore de clochards ? Non, on évoque avec délicatesse les SDF, les sans domicile fixe. Osera-t-on qualifier quelqu’un de sourdingue ou d’obèse ? Avec tact, on précisera qu’il s’agit d’un malentendant ou d’une personne affectée d’une (légère) surcharge pondérale.
Pareil pour les chats de gouttière, les chats hirsutes, issus de croisements hasardeux et d’amours de passage. Cela ne convient plus. N’existe plus. On les a effacés des statistiques. On parle désormais de chats européens – la race des chats européens, des chats en somme qui n’ont pas de race, qui peuvent être de fourrures blanche, noire, tigrée, chocolat, rousse, écaille et l’on en passe, dont les yeux peuvent être verts ou violets comme ceux d’Élisabeth Taylor ou encore jaunes ou marron soutenu. C’est qu’un chat européen, ça vous pose un homme – ou un chat. Ça ne manque pas d’allure. C’est exportable. C’est négociable. C’est flatteur. Ça fait bien dans un salon. Ou sur le livret de santé délivré par le vétérinaire. Ça permet de franchir les frontières. Alors qu’un chat de gouttière, encore une fois, c’est comme un clandestin, un voyou, un traîne-savate, un repris de justice.
Frédéric Vitoux