Ils ont dit

Publié le par la freniere

Je me souviens de ce temps, enfant, quand les mots manquaient aux choses, lorsque les bruissements de syllabes n'avaient pas encore fait pour moi leur travail de recouvrement, n'avaient pas encore su nommer ce qui au fond, dans l'abîme intérieur, essayait de briller ... Le point zéro de l'illumination fut une nuit du mois d'août, sur une minuscule route de la Montagne Noire. Nous étions une vingtaine d'enfants et trois moniteurs que la Voie lactée guidait vers ce théâtre du ciel où le soleil allait se donner en spectacle ...

 

Comment dire l'ambiguïté de ce bonheur innommable? Ce creusement vertigineux que la nuit, les odeurs de pignes et de fougères installèrent en moi comme un double insaisissable avec lequel - je le pressentais déjà - j'allais devoir dialoguer et composer. Mais composer quoi et comment? Je découvris, cette nuit-là, la partie occulte de l'ivresse que procure l'expérience du réel absolu: la grande solitude, ce désert où manque le poème qui seul peut approcher l'indicible et, parfois, le faire partager. J'étais heureux, mais triste de tant de bonheur solitaire; et ce vide qui était aussi un trop-plein me nouait la gorge et m'étouffait. Je voulais offrir, mais j'ignorais le geste de donner.

 

Jean-Luc Aribaud

Publié dans Ils ont dit

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