Ils ont dit
La télévision nous montre successivement l’errance squelettique des réfugiés rwandais, dont les yeux sortent des orbites, et que leurs jambes refusent soudain de porter – qui mourront donc là, quasiment sous nos yeux -, puis le souci des paysans normands dramatisant les effets, d’ordre économique, suscités par l’imprévue et longue sécheresse dont le pays entier est affecté.
Et l’auditeur-voyeur, saturé d’images, ne sait plus s’il y a lieu d’établir une hiérarchie entre ce malheur absolu et ce souci momentané, entre cette horreur et cette contrariété.
Quel revenu Minimum d’Insertion, quelles indemnités pour intempéries viendront-ils consoler de leur mort affreuse ces enfants et ces vieillards dont nul ne se préoccupe ici qu’au titre de rassurante curiosité, archaïque vestige d’un temps dont nos sociétés ont su s’extraire ?
Je viens de lire le récit de la prise de Marvejols, alors cité huguenote, par les soldats catholiques du duc de Joyeuse, et de réapprendre que, voici quatre cents ans – et même moins, dans des circonstances analogues… -, l’on n’hésitait pas non plus, sous nos climats, à égorger les enfants et à violer les femmes, à brûler les récoltes et les maisons.
Il devait déjà y avoir aussi, à l’occasion, des sécheresses catastrophiques. Mais la télévision n’était pas là pour nous montrer le riche éleveur s’apitoyer sur son propre sort en exhibant sous la caméra la terre sèche qui s’effrite sous ses doigts…
Gil Jouanard