Jacques Bernier
Décédé du diabète à l'âge de 34 ans (1978), Jacques Bernier a laissé dans son sillage trois oeuvres poétiques publiées aux Éditions du Jour à Montréal: Luminescences et Vaines Veinules (1971) puis Réminiscences (1973). Une sculpture-monument (Claude Millette) orne le Parc Dessaules à Saint-Hyacinthe (Québec). Originaire de cette localité (1944) et neveu de la journaliste et femme de lettres Germaine Bernier, Jacques a étudié la philosophie à l'Université de Montréal et a fréquenté l'Institut des Hautes études cinématographiques à Paris. Photographe artistique et de presse, comédien amateur, compositeur de musique concrète, Jacques Bernier a malgré tout connu un vécu culturel bien rempli mais c'est l'expression poétique qui a dominé toute son existence. Il a laissé un trou béant mais pourtant hermétique en nous quittant en 1978 après avoir connu la cécité des diabètes profonds.
chien de la rosée qui mendie
chien du talon qui rabroue
crieras-tu
quittant l'écho qui déporte l'affamé qui le pro-
pulse comme une idole dans le couloir des
hommes
mieux vaut la noirceur qu'on allume
qu'une lampe fermée donc l'éclat serait d'ailleurs
crieras-tu donc
laissant l'été vrai de la conscience résonner à
l'intérieur de ton miracle
*
et disparue comme l'ongle de la Raison
avec le flair d'un système en raccourci pour unique corde où les semelles rougissent à monter dans l'oeil
comme le blé sur la mer
et comme bien souvent dans les cas d'urgence on a envie
de suffire à la page
tellement il faut parler quand souvent le faire nettoie
la plaie du large dans l'épaule comme souvent on a
envie de fuir avec Raison et souvent on a le fer dans
les dents sans raison pour fuir encore quand les dés se
résignent fuir pour le bon déplaisir et rester au fer étu-
dié
et là
comme le duvet dans la bouche après le sable et la ma-
jeure partie de la mesure départie aux mineurs asphyxiés
dans le satin
après siècles et denrées humidifiées à la façon de trop de forêts
*
Pas une idée, pas une image qui ne soit discible; je n'ai rien
à dire, sinon des mots purs qui, de toute manière, se di-
sent, s'écrivent d'eux-mêmes (mots d'objets devenus
autonomes); moi, je ne suis que livré à leur fascination,
qu'agi par eux; je pourrais pratiquement être absent,
mourir sans s'empêcher que ça (s')écrive... écrire se fai-
sant, comme on le sait, sur la brisure, l'impossible ren-
contre au présent du passé et de l'avenir (le non-
présent); comme si c'était mourir même (être livré à l'absence du temps) qui écrivait, écrire étant, à cette limite, proprement vivre (sur-vivre à l'instant qui n'est
en fait que sa propre disparition), re-vivre dans l'instant
qui n'est pourtant retour de rien, comme si l'on ne vivait
à la fin que de mourir...
Jacques Bernier